Les démons intimes du Maroc

 Les démons intimes du Maroc

crédit photo : Pierre Hybre/MYOP


Une de l’“Obs”, plateaux télé, radio… Depuis sa publication, l’enquête de Leïla Slimani fait parler d’elle. Prix Goncourt 2016 avec “Chanson douce” (Gallimard), l’auteure expose une autre vision de la société marocaine, en phase avec la réalité quotidienne des femmes. 


Dans Sexe et Mensonges : la vie sexuelle au Maroc, Leïla Slimani s’attaque aux démons intimes de son pays d’origine, le Maroc. A travers des témoignages de femmes (journalistes, mères de famille, étudiantes…) ayant souhaité garder l’anonymat, elle lève le voile sur leur quotidien sexuel. Et dessine les contours d’une société où l’hypocrisie sert de masque : “Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette.”


La frustration sexuelle expliquerait, selon elle, les nombreux écarts violents qui ponctuent la vie quotidienne au Maroc. Ainsi, cet exemple de la honte nationale : en août dernier, une jeune fille est sexuellement violentée par plusieurs hommes dans un bus sans que personne n’intervienne. Le scandale a fait le tour du monde, mais personne ne se fait d’illusions. Une fois l’onde médiatique passée, rien ne changera vraiment. Et ce ne sera, hélas, pas le dernier drame du genre. Pourquoi les gens ferment-ils les yeux sans rien dire ?


 


La frustration, les non-dits


Les témoignages récoltés par l’auteur sont forts et décrivent une hypocrisie larvée, la frustration des deux sexes et les non-dits qui traversent la société. Caché, nécessairement évité lors de conversations anodines, le sexe n’en est que plus présent dans les esprits. Il perturbe la vie de chaque homme et de chaque femme. Il alimente une véritable névrose collective. Et la femme est la plus concernée. Elle doit choisir entre deux rôles : la vertueuse – vierge –, soumise à son époux, ou bien la pute. Entre les deux : rien.


Au Maroc, comme dans la quasi-totalité des pays arabo-musulmans, un seul critère prévaut comme signe de bonne valeur : la virginité. Ce n’est pas juste la femme qui possède ce capital précieux, mais sa famille tout entière. Une sorte “d’attestation de bonne éducation”. La perte de virginité est vécue comme une honte, un déshonneur. L’opposition entre la vierge et la femme déflorée sous-tend les rapports de la société. Beaucoup avouent se sentir obligées de faire semblant pour mieux épouser les canons comportementaux d’une société mal à l’aise dès qu’elle sort du diptyque établi.


 


Adapté en bande dessinée


Pour Leïla Slimani, la loi est responsable. Elle dénonce au début de son enquête les articles 490 et 491 du ­Code pénal, qui doivent être supprimés. Les deux condamnent à des peines de prison les relations sexuelles hors mariage. Au cœur des critiques : l’homme, le machisme et le fonctionnement de la société dans son ensemble. Mais derrière ce constat, c’est surtout le regard de “l’autre” qui compte au Maroc. Toute relation passe par la peur d’être vu par le voisin, le cousin ou le collègue – le fameux “qu’en dira-t-on”. “On” sait ce qu’il se passe mais “on” fait semblant de rien.


L’éditeur a adapté Sexe et Mensonges en bande dessinée afin de toucher le plus grand nombre. Le livre de Leïla Slimani est un excellent réquisitoire pour la liberté de l’individu qui tarde à émerger. Il soulève cette question : quand, une société qui souffre en silence d’une maladie incurable, lèvera-t-elle la honte de vivre pleinement ?



"Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc" de Leila Slimani, Editions Les Arènes, 192 pages, 17 euros


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Kader Bengriba