Kader Attia, l’art de repanser l’histoire

 Kader Attia, l’art de repanser l’histoire

Traditional Repair


Réparer un passé décomposé, voilà à quoi s’emploie ce plasticien d’origine algérienne. Ses photos, installations et vidéos exposées actuellement au Mac Val, à Vitry-sur-Seine, montrent la vie dans les cités, le déracinement et les replis identitaires. 


Kader Attia fait penser à un autre artiste contemporain, Mohamed Bourouissa (voir numéro de mars). Tous deux ont mis du temps à être reconnus en France – pays de naissance pour le premier, d’adoption pour le second –, mais ont paradoxalement réussi à se faire une place sur la scène internationale. Et leur travail nous plonge dans la marge avec ceux qui y vivent. On ne s’étonne donc pas que ce soit un musée situé de l’autre côté du périphérique qui donne carte blanche à Kader Attia pour une ­exposition d’envergure. Quelques semaines auparavant, le Palais de Tokyo avait monté un projet où le plasticien – né de parents algériens en 1970 à Dugny (Seine-Saint-Denis) – dialoguait avec un autre artiste autour de leur passion commune pour les objets. Mais c’est au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (Mac Val) que l’on peut, en ce moment, le mieux saisir ses préoccupations.



Montrer les répercussions du passé colonial


Dès 2004, à l’époque où il était représenté par Kamel Mennour, Kader Attia avait souligné le besoin de religiosité des jeunes. Il avait ainsi transformé la galerie de ce dernier, dans le quartier de Saint-Germain-des-Près, en boutique de vêtements (casquettes, sweats et strings). La même année, il présentait sa Machine à rêves #1 à la biennale de Venise. L’installation était composée d’un mannequin habillé de la marque Hallal (qu’il a créée) devant un distributeur automatique offrant, au choix, une carte Gold, un passeport américain, un manuel pour perdre l’accent de banlieue, du gin hallal…


Montrer la vie dans les cités, le déracinement, les replis identitaires, voilà les grandes lignes de l’œuvre que construit, depuis presque vingt ans, le lauréat 2016 du prix Marcel-Duchamp. Une fois son diplôme de l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Paris en poche, il avait commencé sa carrière artistique en arpentant les rues de Garges, Sarcelles, Belleville et Barbès, armé d’un appareil photo. Ses déambulations avaient donné lieu à l’exposition “La piste d’atterrissage”, qui donnait à voir des travestis algériens en exil à Paris.


Aujourd’hui, le Mac Val présente les portraits qu’il avait faits à l’époque, ainsi que des travaux plus ­récents. Il est question des mouvements migratoires et des répercussions du passé colonial – l’artiste a d’ailleurs ­ouvert en 2016 un espace dédié à l’art et au savoir, ironiquement baptisé La Colonie, dans le Xe arrondissement de Paris.


Tout son propos est résumé dans le titre de son exposition : “Les racines poussent aussi dans le béton.” Il s’agit d’une installation composée de poteaux en bois provenant de charpentes d’immeubles de Berlin, ville chargée d’histoire, où il vit. Des agrafes, destinées à éviter la fissure du bois avec le temps, y sont apparentes. Pour­ l’artiste, elles réparent des blessures sans les faire disparaître, sans les cacher, mais en les assumant.



L’obsession de faire disparaître les blessures


“Je crois que l’une des particularités des sociétés post­modernes tient dans cette obsession de faire disparaître les blessures, écrit-il sur l’un des cartels de l’exposition. Comment remettre, au centre du vivre-ensemble de la communauté humaine, les rides, les blessures, comme étant parties prenantes du lien entre individu et collectif ? Parfois, la réparation, c’est aussi l’irréparable : assumer les choses telles qu’elles sont.”


Une autre de ses récentes installations, On n’emprisonne pas les idées (2018), évoque la situation des réfugiés à ­Paris. Elle est constituée de barrières anti-émeutes et de pierres. Ponctuellement, cette architecture est utilisée comme cadre d’une performance mettant en scène des danseurs. Une manière pour Kader Attia de revenir sur un autre thème qui lui est cher, le rapport du corps à ­l’espace où on le contraint d’évoluer. 


 


LES RACINES POUSSENT AUSSI DANS LE BÉTON, de Kader Attia, jusqu’au 16 septembre au Mac Val (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne), place de la Libération, 94404 Vitry-sur-Seine

Fadwa Miadi