Le bel avignon d’Ahmed El Attar

 Le bel avignon d’Ahmed El Attar

crédit photo :Mostafa Abdel Aty – Ana Rodriguez


Après “The Last Supper” en 2014, le metteur en scène est de retour cette année au célèbre festival de théâtre avec “Mama”. Dans le Off, l’Egyptien organise aussi un Focus arabe, avec cinq pièces d’artistes peu ou pas connus en Europe. 


En découvrant The Last Supper, subtile performance sur la ­lenteur des transformations post-révolutionnaires en Egypte, de nombreux spectateurs ont interrogé Ahmed El Attar sur l’absence de la mère. Pourquoi parlait-on d’elle sans jamais la voir apparaître parmi les membres de la famille et les amis rassemblés pour le ­dîner ? La question n’a pas quitté le metteur en scène qui, depuis près de vingt ans, se consacre à l’exploration de son pays à travers la famille. “Je me suis dit que cette absence devait correspondre à quelque chose d’inconscient, explique-t-il. Non seulement chez moi, mais dans la société égyptienne en général.” En mettant une figure de mère au centre de Mama, il cherche des réponses.


 


L’oppression au féminin


Cette pièce, présentée au 72e Festival d’Avignon, propose une ­réflexion sur l’oppression vécue par la femme arabe. Ahmed El Attar met en avant les luttes de pouvoir opposant les membres ­féminins des familles en Egypte. “Pour se venger de la violence et de l’étouffement qu’elle subit au quotidien, la mère a tendance à vouloir prendre le contrôle du fils. Et à participer ainsi à la reproduction du système patriarcal qui nie sa liberté.” Car, pour que les choses changent, il faut bousculer les idées reçues.


 


“On peut parfois avoir l’impression de retours en arrière depuis la révolution, mais l’Egypte continue d’avancer. Il lui faudra peut-être vingt ou trente ans pour être à la hauteur de ce qu’ont voulu les hommes et les femmes de la révolution”, affirme le metteur en scène. Persuadé que les artistes ont un rôle majeur à jouer dans ce processus, il mène de front ses créations personnelles et la ­direction de l’événement qu’il a créé en 2012 en plein centre du Caire : le ­D-CAF, ou le Downtown Contemporary Arts Festival. Grâce à la Manufacture, un des lieux phares du festival Off d’Avignon, il profite de sa présence dans la Cité des papes pour proposer un très prometteur Focus arabe.


 


Lumière sur cinq créations arabes


Regrettant que, “faute de moyens, de réseaux, et pour bien d’autres raisons encore, la création contemporaine arabe ait très peu de ­visi­bilité en France et en Europe”, Ahmed El Attar a sélectionné cinq projets, qui seront présentés du 8 au 24 juillet au château de Saint-Chamand. Avec le seul en scène Jogging de la Libanaise ­Hanane Hajj Ali et la performance inédite Délire parfait du chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou, la création émergente est donc mise à l’honneur. Dans son solo Without Damage, le chorégraphe égyptien Mohamed Fouad questionne les effets de la marchandisation de l’art sur l’artiste. Sarah Faleh, avec sa performance interactive Gesturing Refugees (photo ci-contre), interroge le vécu collectif des réfugiés, et la Palestinienne Tania El Khoury présente à l’Ecole supérieure d’art d’Avignon une installation sur le thème de la frontière. Cette 72e édition est donc riche d’enjeux pour la ­reconnaissance du théâtre arabe hors de ses frontières. 

Anais Heluin