L’artiste tunisien Shoof s’empare de la lettre arabe

 L’artiste tunisien Shoof s’empare de la lettre arabe

Exposition « Dripping point » de Shoof. Galerie Itinerrance (Paris 13e)


 


Djerbahood en Tunisie, la Tour 13 à Paris et, aujourd'hui, la galerie Itinerrance toujours dans la capitale, Shoof a posé son pinceau avec talent sur les deux rives de la Méditerranée. Jusqu'au 30 mai, l'artiste tunisien présente son exposition intitulée « Dripping point ». Avec sa mentalité de « writer », Shoof déconstruit, reconstruit, transforme, déforme la lettre arabe pour délivrer des messages engagés. Calligraphie arabe ? Oui et non, l'artiste nous explique tout.


 


LCDL : Quel concept est à la base de cette exposition « Dripping point » ?


Shoof : Mon travail est basé entre autre sur la déconstruction avec reconstruction, et la base c'est le point. Ce que je répète toujours, c'est que « le point est mère de toute construction ». Je travaille également beaucoup sur les coulures. Des coulures spontanées et naturelles. Je n'aime pas rajouter des coulures ou les dessiner. Ça fait partie de l'aléatoire dans le travail. Techniquement parlant, dans la recherche, même esthétique, c'était axé sur la coulure. Un point coulant. Dripping point.


 


Comment avez-vous commencé à utiliser la calligraphie arabe ?


C'est venu tout seul à partir de 2008. Je n'ai jamais fait de calligraphie. Ce n'est pas vraiment de la calligraphie dans le sens où la lisibilité ne se pose pas comme paramètre. Ça n'a rien de classique. J'ai pris l'écriture arabe normale et je suis parti à ma sauce. Ce sont des lettres arabes mais ce n'est pas un style de calligraphie orthodoxe, sachant que la calligraphie est un des champs où il y a eu le plus d'expansion créative mais par là même une restriction académique. Mais ce côté académique ne m'intéresse pas. Dans l'absolu, c'est comme le writing : tu prends ton nom, moi je ne le mets pas, mais tu mets des lettres et tu les façonnes de façon à créer quelque chose de nouveau. C'est ce que je maîtrise le plus. Je suis un immigré ici, ça m'est venu après mon immigration donc je me dis qu'inconsciemment c'est ma condition d'immigré qui m'a poussé à me tourner vers la calligraphie arabe.


 


Que penser du fait que la calligraphie arabe soit de plus en plus utilisée dans le graffiti ?


Je trouve ça bien. C'est lié à différents paramètres. Après ce qu'il s'est passé dans les pays arabes il y a quelques années, ça devient forcément un champ intéressant pour les gens. Pas que dans l'artistique mais par ricochet, l'inconscient collectif, même occidental, est attiré par ça et ça crée des ouvertures. (…) Je vois des artistes pousser la recherche à l'extrême, d'autre le font juste pour le fun, et c'est tant mieux. De toute façon, pour moi, plus on utilise le matériel de construction qui est la lettre arabe, mieux c'est, parce que je me dis « d'accord nous ne sommes pas dessinateurs, mais nous arrivons à créer des choses bien ». 


 


Les révolutions arabes ont donc quelque peu changé la donne. Où étiez-vous pendant ces révolutions ?


J'étais déjà en France (…) Ça influence forcément parce que mes convictions intellectuelles, c'est ce que j'utilise comme prétexte de sens, de manière répétée pour créer mes formes. Un mot, une phrase et je répète sans cesse (…) Mais fondamentalement, la révolution arabe n'a pas influencé mon travail. J'ai commencé à faire ça avant ce qu'il s'est passé. J'ai commencé à peindre dans la rue en vandale en Tunisie quand je faisais du pochoir en 2008-2009. De toute façon, cette révolution, je crois qu'il va falloir beaucoup de temps pour la digérer.


 


Dans le documentaire sur l'événement Djerbahood, le spectateur peut vous voir écouter de la musique en peignant. La musique est-elle importante dans le processus de création ?


La musique c'est mon métronome. Au début, c'était presque pour éviter de penser. Quand j'ai commencé à créer, c'était d'abord la répétition d'un mot. Je pouvais le faire pendant dix minutes comme pendant plusieurs jours. Ce qui m'aidait à tenir sur la longueur, c'était la musique. J'avais mes mini-discs, je suis de l'ancienne école. Le même mini-disc qui se répétait. A la fin, je ne pensais même plus. Jusqu'à involontairement ne mettre qu'une chanson sur une semaine de travail. C'est un métronome qui me permet de garder le rythme. Ça me met dans un état où je suis plus inconscient que conscient. Et surtout, j'adore le groove et le funk, sinon je ne supporterais pas. C'est aussi la raison pour laquelle je dis que ce n'est pas vraiment de la calligraphie. Les calligraphes, en général, sont dans la recherche du silence.


 


Vous avez réalisé une performance d'envergure dans la galerie Itinerrance. La musique a dû beaucoup tourner…


Je me suis cassé le dos, c'était physique. Ça m'a pris quatre jours. L'album d'Ali Farka Touré a beaucoup tourné. Du D'Angelo aussi, Amy Winehouse et du Gil Scott-Heron.


 


F. Duhamel


Exposition « Dripping point » de Shoof. Galerie Itinerrance (Paris 13e), jusqu'au 30 mai 2015.

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