France/Maroc. Ce royaume qui dérange

 France/Maroc. Ce royaume qui dérange

FADEL SENNA / AFP

De quoi est le nom ce détestable atavisme de la classe politique française dès qu’il s’agit du Maroc ? Le passé sombre de la présence militaire de l’Hexagone sur les terres du royaume explique peut-être « cette exception française » concernant ce pays; mais ces politiques, experts, intellectuels… ces nombreuses voix qui s’élèvent en même temps et au même moment dans une coïncidence suspecte pour critiquer le royaume alors qu’il y a juste quelques années de cela, ces mêmes personnalités vantaient « la stabilité et la marche lente mais sûre de ce pays vers le progrès » (on se rappelle de cette couverture où le Point titrait Le Maroc Nouvelle puissance) montrent que les priorités stratégiques de la France restent à géométrie variable et épousent de plus en plus la vision étriquée que porte chaque nouveau locataire de l’Elysée sur telle ou telle question géopolitique.

Sinon comment expliquer la profusion subite de la publication d’articles à charge dans la presse française sur le Maroc, et le reste est à l’avenant comme le confirme nos informations concernant la préparation d’autres articles dans d’autres journaux ? Pourquoi tant de hargne médiatique ?

En fait, l’accusation qui a toujours valu au royaume d’être dans le collimateur de Reporters Sans Frontières, à savoir, celle d’avoir une presse aux ordres est aujourd’hui une réalité dans l’Hexagone. On ne reviendra pas sur les invitations en off de journalistes à l’Elysée pour relayer la voix du maître de céans, mais il est de notoriété publique en France qu’il est difficile, voire impossible, à l’heure actuelle de se démarquer dans une rédaction où le média en question appartient à une personnalité dont la proximité avec le pouvoir est un secret de Polichinelle.

La majorité des quotidiens, la plupart des hebdomadaires de référence et même les chaînes de TV privées sont concentrés entre les mains d’une poignée de milliardaires proches du pouvoir. Contrairement aux anciens propriétaires, ces donneurs d’ordre font en réalité ce qu’ils veulent des heures de « temps de cerveau disponible » que leur offrent les Français. La part de l’influence industrielle et celle de l’influence politique fluctuent en fonction des orientations de l’Elysée.

Or l’actualité aujourd’hui pour les nostalgiques de la France-Afrique, c’est le Maroc bashing, qui n’a aucune prise sur les décideurs politiques du royaume mais qui donne l’illusion de peser sur l’opinion internationale, de montrer patte blanche au pouvoir politique de Paris. Ce constat est également celui de l’Assemblée nationale qui a lancé le 24 novembre 2022 une commission d’enquête « Concentration des médias en France » visant à « évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ».

Vérité oblige, il faut préciser ici que les journalistes n’ont pas tellement le choix, ils s’exécutent ou ils vont voir ailleurs, comme le dévoilent certains ! Il est bien loin le temps des journalistes de conviction, des Lacouture, des Jean François Kahn et autres Jean Daniel. Ce dernier que j’ai eu à fréquenter à plusieurs reprises, car il venait souvent au Maroc, n’hésitait pas à brocarder tout ce qui ne lui plaisait pas dans la marche du royaume, mais au final n’écrivait que ce qui lui paraissait susceptible de faire avancer les choses dans tel ou tel domaine.

Mais n’est pas Jean Daniel qui veut, à l’occasion de la remise du prix Averroès à Marrakech en 2013, il nous avait confié sa vision du journalisme : « L’homme de gauche que je suis a toujours été guidé dans son métier par une éthique de responsabilité et même quand il s’agissait de s’attaquer à de gros tabous, je pense qu’il faut toujours s’en tenir à une position équilibrée ». 

Ces hommes de plume qui n’ont jamais cessé de réfléchir sur la philosophie de ce métier, sans cesse à la recherche de la vérité, de la raison, maniant le non-conformisme, le doute méthodique n’ont plus droit de cité dans un monde où les fake news et la propagande ont remplacé la recherche de l’information.

Cela dit, il est curieux que la presse francophone se spécialise aujourd’hui dans le Mohamed VI bashing. En effet, qu’est ce qui amène des médias différents à avoir la même grille de lecture sur le même personnage, avec les mêmes passages obligés et les mêmes clichés éculés, celui d’un roi plus soucieux de ses vacances à l’étranger que des problèmes de ses citoyens ou encore l’antienne d’un souverain qui veut abandonner ses fonctions, un refrain qu’on a pourtant entendu il y a plus de vingt ans.

Pourquoi ces médias se transforment rapidement en « moutonnaille », selon l’expression de Rabelais pour se focaliser sur le premier personnage de l’État Marocain. Est-ce là la preuve flagrante que cette conception utilitariste voire parasitaire de la diplomatie correspond désormais à un changement de cap de la Macronie vis-à-vis du royaume ?

Après le chantage aux visas, après les embrassades chaleureuses avec le président algérien dont on sait aujourd’hui qu’il n’est que le VRP docile de la politique de la France envers le Maroc, après les coups bas du Parlement européen, il semble que les éminents conseillers de l’ombre aient suggéré une autre tactique (vu que les actions citées auparavant n’ont fait qu’accélérer le ressentiment anti-français chez la population marocaine), une stratégie qui consiste d’un côté à envoyer des messages positifs à la population (les visas ont repris, on a lestement chassé une enseignante qui parlait d’homosexualité aux petits Marocains etc.) et d’un autre côté à charger la monarchie de tous les maux.

« Diviser pour régner », « la métropole » a la mémoire courte : c’est exactement la même stratégie employée par Lyautey pour monter le peuple contre le trône dont les conséquences ont été le départ forcé de la France du Maroc à l’époque de Mohammed V. Ironie de l’histoire, Mohammed VI est bien l’héritier de Mohammed V et les deux monarques ont plusieurs points communs dont l’attachement viscéral à une véritable indépendance du royaume.

Les désastres de la colonisation avaient vacciné le peuple contre les illusions de la « France des lumières » et de même, la guéguerre menée par Paris contre les intérêts du Maroc est en train de détourner les francophiles les plus zélés dans le royaume.

Quant aux difficultés du quotidien des Marocains, qui peut encore les nier ? Chacun voit aujourd’hui que la crise, pourtant majeure, née de l’hystérie du Covid, suivie de la guerre d’Ukraine, n’a pas épargné le Maroc. L’économie de marché impose toujours et encore sa loi, l’inflation a explosé, la corruption règne en maître et juste dans des secteurs aussi graves que celui de la justice.

A l’ère d’une globalisation accélérée du monde, on ne peut plus espérer échapper au dérèglement du monde, et la tentation désespérée du protectionnisme national reste un mauvais choix. Et si les Marocains ont bien « leurs maux à dire », ils n’en mettent pas pour autant le pays à feu et à sang ! Le royaume a fait le choix de se débarrasser de la tutelle encombrante d’un pays en déclin, (la France) et de se tourner vers d’autres horizons plus prometteurs, et c’est justement pour permettre au pays de tirer son épingle du jeu et sortir du guêpier du sous-développement.

Si « les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée », selon la formule consacrée, on aurait pu s’attendre à un fléchissement de l’attitude de l’Élysée pour apaiser les tensions persistantes entre le royaume et l’Hexagone. Que nenni, l’arrogance de Paris est à l’exact opposé des grandes puissances qui se pressent désormais aux portes du Détroit de Gibraltar pour se positionner dans un monde désormais multipolaire. Et si Mohammed VI est souvent dans son avion, c’est justement pour consolider ces alliances et a du moins cette vertu de porter le fer dans la plaie du néocolonialisme.

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Abdellatif El Azizi