Grandes manœuvres et petits bénéfices – Notre ami le président

 Grandes manœuvres et petits bénéfices – Notre ami le président

Le ministère des Affaires étrangères à Paris. FREDERIC SOREAU / PHOTONONSTOP / AFP

Mais quelle mouche a donc piqué Macron pour qu’il se lance à corps perdu dans ce nouveau marécage ? Dans cette guerre de tranchée que se livrent les séparatistes : entre le séparatisme d’une infime partie des salafistes radicaux et celui du Rassemblement National le président avait-il besoin de pointer du doigt le Maroc, « accusant » le royaume de financer les mosquées de France et de former des imams, alors que tout cela se passait jusqu’à présent dans la transparence la plus absolue ?

 

Macron voudrait-il jeter « ses citoyens musulmans » dans les bras des extrémistes wahhabites qui s’activent dans la clandestinité la plus absolue en France ? Ou bien ne s’agit-il là que d’un épisode de plus dans cette campagne anti-marocaine relayée par certains médias de l’Hexagone ?

Une drôle de campagne qui a un air de déjà-vu. Quand d’un côté, de pseudos opposants marocains montent au créneau, avec tambours et trompettes médiatiques, pour tirer à boulets rouges sur le régime. De l’autre, les chœurs de commentaires facebookiens accompagnés d’une cascade de livres et de révélations censés accabler le chef d’Etat et son entourage.

Mais cette propension à diaboliser le palais et par conséquent le Maroc va certainement s’avérer contre-productive, les donneurs d’ordre donnant le sentiment de n’avoir tiré aucune leçon de l’échec essuyé en 2013, suite au simulacre de convocation du patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) Abdellatif Hammouchi par la justice française, lors de son passage à Paris. L’affaire avait provoqué une crise diplomatique entre le royaume et la France qui a duré plus d’un an.

A la limite, les arnaques au lectorat de ces magazines français qui (font une couverture spéciale sur le Maroc, destinée à être distribuée dans le royaume alors que le véritable numéro que les Français achètent dans les kiosques à Paris est plutôt franco-français avec un contenu différent) ne trompent plus personne.

Pour tout observateur averti, les articles et autres documentaires à charge contre le Maroc qui se sont multipliés ces derniers temps relèvent de l’amateurisme puisque ce crû 2020 va jusqu’à exhumer un pamphlet des années 80. « Notre ami le roi » de Gilles Perrault, un ouvrage qui eut ses heures de gloire à l’époque du monarque défunt mais qui ne mange plus de pain aujourd’hui.

Même l’utilisation des médias sociaux pour miner la légitimité et le capital de confiance des institutions auprès des Marocains tourne en vase clos au sein de communautés fermées et invisibles.  Le cercle vicieux dans lequel les groupes diffusent toujours plus d’informations, fausses ou manipulées ne sert à rien ou du moins pas au but poursuivi. Or, pour embarquer une société dans un paternalisme coercitif, il faut avoir cette légitimité qui suscite l’acceptabilité de l’opinion.

Les Marocains n’ont pas besoin de la presse étrangère pour connaître la corruption qui mine l’administration ou le scandale des situations de rente ou encore les passe droits qui sont passés dans l’usage au quotidien. Cette tempête dans un verre d’eau ne concerne bien sûr que les deux pelés et trois tondus qui  barbotent dans les eaux troubles du chantage politique. Alors qu’ici, jusque dans le Maroc profond, personne ne prête vraiment attention à̀ cette nouvelle charge de la cavalerie française.

Bien sûr, il est légitime de se poser la question qui taraude de nombreux responsables des deux côtés de la Méditerranée : à qui profite le crime ? Sur ce plan, Il faut au moins reconnaître au président Emmanuel Macron le mérite d’avoir un jour, soulevé le couvercle de la marmite ! Ce fut en à l’automne 2019, devant un parterre de diplomates galonnés, à l’occasion de la sempiternelle « conférence des ambassadeurs et des ambassadrices ».

Apparemment remonté, le chef d’Etat pointait du doigt les coups fourrés d’un « État profond » planqué au Quai d’Orsay : « Alors je sais, comme diraient certains théoriciens estrangers, nous avons, nous aussi, un État profond.» Et donc, parfois, le président de la République dit des choses, et puis la tendance collective pourrait être tentée de dire : « Il a dit ça, mais nous, on connait la vérité, on va continuer comme on a toujours fait.» Or vis-à-vis du Maroc, la mainmise de cet « Etat profond » sur les mécanismes diplomatiques font que les couacs se font sentir de plus en plus souvent. Un diplomate français qui rappelle que les liens entre les deux pays sont beaucoup plus solides qu’on ne croit, met cette fébrilité sur le compte de l’idéologie d’une nouvelle classe de fonctionnaires des AE à l’esprit barbouzard, plus énarques que diplomates qui ont renversé les rapports de forces au sein de ce ministère.

Alors pourquoi toute cette hargne ?

Il y a d’abord la percée diplomatique du royaume qui dérange fortement car elle est en contradiction avec le désastre de la politique étrangère française que ce soit sur le dossier libyen ou encore sur l’alignement aveugle de l’Hexagone sur la position d’Israël au Proche-Orient. L’activisme du royaume au niveau africain (dernier exemple en date le Mali) , maghrébin (la crise libyenne devrait trouver son dénouement à Bouznika) ou encore au Proche-Orient, où le royaume refuse de sacrifier la cause palestinienne sur l’autel de la realpolitik devient vite le poil à gratter de la France Afrique, soucieuse de trôner partout et selon ses propres conditions.

Enfin la personnalité de Mohammed VI dont le style est totalement inédit. Pour ne prendre que l’exemple qui nous intéresse, quand Driss Basri se dépêchait de prendre l’avion pour Paris pour éteindre le moindre article de presse anti marocain, l’actuel locataire du palais, n’a que faire de ces micmac en vase clos. Quand à forcer la main au personnage, mieux vaut oublier. En tout cas, ni la carotte, ni le bâton ne marchent.

Enfin, pour les fameux gros contrats, l’administration dit-elle se substituer aux cabinets de lobbying pour décrocher des projets pour les entreprises françaises ? Dernier exemple en date, l’affaire Tiffany portée cette semaine devant la justice, devant le tribunal du Delaware. La plainte des américains pour dénoncer l’intervention directe de Jean Yves le Drian pour aider LVMH à ne pas respecter son offre d’achat du bijoutier américain est significative des dérives de la diplomatie commerciale française. Aujourd’hui, aider les entreprises françaises à s’implanter hors des frontières ne devrait plus s’accommoder des barbouzeries de l’époque Foccart et un État qui intervient arbitrairement et sans ménagement dans les affaires privées pour avantager ses entreprises est un état voyou.

Dans cette période de redéfinition des rapports entre la France et ses anciennes colonies, il est temps de mûrir à des solutions alternatives. Au lieu de ce jeu cynique de cache-cache qui n’honore en rien les décideurs français, il y aurait du panache à imaginer de nouvelles relations basées sur la concertation. On ne réussit une relation que quand toutes les parties prenantes y trouvent leur compte. D’autant plus que l’antienne des droits de l’homme ne convainc plus personne. En effet, l’argument est toujours le même, inusable, la France se doit de répandre le message de la liberté , soutenir le droit universel des hommes à la liberté. Or il est dépassé le temps où la France coloniale avait cette puissance de feu qui lui permettait de prétendre conduire les peuples asservis au droit de disposer d’eux-mêmes. L’Afrique aux Africains et le Maroc aux Marocains.

Cela dit, ne peut-on pas débattre des vrais sujets clivants, en évitant le recours au chantage, surtout quand celui-ci est inopérant ?

Bon signe, ces ratages provoquent les grincements de dents des élites des deux pays et par la même occasion portent les espoirs d’une prise de conscience des décideurs français que le royaume n’est ni la chasse gardée de la France, ni cette république bananière qui cèderait aux tentatives du premier maître-chanteur venu.

 

 

 

 

 

Abdellatif El Azizi