Humeur – Le regard qui tue

 Humeur – Le regard qui tue

Illustration – GABRIEL BOUYS / AFP


Il commence par lui lancer des mots doux, plus il insiste, plus elle se dérobe. Enragé par ce refus ferme de céder à ses avances, le goujat l’insulte copieusement avant de lui balancer un coup de poing au visage. Déstabilisée, la jeune femme se retrouve sous les roues d’un camion qui croisait son chemin. 


Cela fera une dalle de plus dans le cimetière de Marrakech, un entrefilet dans la rubrique Faits Divers d’un journal local et quelques détails sur la démarche de la jeune femme, trop démunie pour prendre un taxi et qui avait eu le malheur de chercher du travail dans un complexe hôtelier de la ville ocre.


Pour une  femme tuée (avec l’arrestation du criminel à la clé), combien de filles harcelées dans les rues, violentées dans les gares routières, frappées et insultées dans les endroits les plus improbables, voire violées dans un train ?


On a beaucoup glosé sur le harcèlement sexuel qui serait une épidémie mondiale, qu’aurait vainement tenté de guérir le mouvement Meetoo mais ici, il ne s’agit plus de harcèlement sexuel, le phénomène est plus grave, c’est l’impossibilité pour un individu de sexe féminin de se déplacer dans l’espace public.  Souvent du petit mot gentil à l’insulte et à l’agression généralisée, il n’y a qu’un pas, vite franchi.  


Toutes les femmes vivent le cauchemar de la rue déserte. Fermer les yeux sur ces incivilités qualifiées souvent de bégnines par l’homme, peut laisser la porte ouverte à des phénomènes plus graves. Le « processus de civilisation » qui a conduit l’homme « occidental » à domestiquer ses pulsions, quitte à leur lâcher la bride dans l’espace privé, repose sur l’adoption de règles restrictives qui dressent entre les corps une frontière invisible.


Or le gros problème que nous avons nous autres (hommes arabes) avec la femme, c’est le regard porté sur son corps.


D’une manière générale, le phénomène n’est pas propre aux sociétés arabes puisqu’une étude expérimentale américaine récente confirme que les hommes ont tendance à regarder les femmes en détaillant leurs atouts plus que leurs visages.


L’expérience réalisée par des spécialistes de psychosociologie de l'Université du Nebraska à Lincoln a conclu que le regard des hommes était même encore plus insistant lorsque ces femmes arboraient une forte poitrine, une taille fine et des hanches généreuses.


Sauf que ces signaux qu’on tarde à traiter d’urgence et qui font désormais partie des incivilités du quotidien, elles sont aussi le miroir d’une société où la femme (en dehors de la mère, la fille ou la sœur) ne peut qu’être un déversoir de nos fantasmes les plus crasseux. 


Bouleverser nos clichés sur l'image du corps de la femme dans notre société n’est pas pour demain. Ce qui relève d’une priorité ne fait pas partie des urgences de l’école comme il ne donne pas des insomnies à la gent masculine qui se complait dans la relative facilité à accéder à ces corps de rêve offerts gracieusement par la publicité et les modélistes qui  ont « déshabillé » les femmes au nom de la liberté.


Dans un « tout-à-l’égo » généralisé, face à la démission des hommes (allez trouver un gentleman qui intervient dans la rue pour défendre une femme agressée), l’hypocrisie des lois, ces incivilités grandissantes (pour ne pas dire plus) rendent intolérable le vivre-ensemble pour nos douces moitiés. Et on se permet encore de faire semblant d’être scandalisé de voir ces milliers de Marocaines partir vivre en Occident.

Abdelatif Elazizi