Mohammed VI, un roi énigmatique ?

 Mohammed VI, un roi énigmatique ?

MAP / AFP

On ne reviendra pas sur ce qui s’apparente à une véritable campagne de presse française contre le roi du Maroc. « Il n’y a pas de doute que l’objectif est de mener une campagne de désinformation d’ampleur contre le roi », explique un journaliste français qui, tout en « mettant en avant le nombre d’articles publiés au quotidien, consacrés au monarque et tous, négatifs, voire carrément insultants », ne comprend pas les dessous de cet acharnement.

Accuser les médias français d’être « une presse aux ordres » serait vite aller en besogne, mais il faut néanmoins savoir que la plupart des journaux qui se sont prêtés à ce jeu malsain portent la marque de milliardaires du cru, expression concrète d’une mainmise sans partage d’une poignée de milliardaires sur l’information.

Qu’une certaine presse se rue désormais sur le royaume, usant à satiété de caméras cachées, de micros dissimulés, de portables fureteurs, d’usurpations d’identité et autres instruments du bas espionnage pour offrir aux lecteurs français une information truquée et  amalgames biaisés, laisse penser qu’il y a péril en la demeure. N’y-a-t- il pas d’autres sujets plus urgents que la « couleur du cheval blanc de Mohammed VI » ?

N’y-a-t-il pas de sujets plus brûlants en politique, en France, entre les cumuls des mandats, le clientélisme de la Macronie, le corporatisme, la corruption rampante dans les grands groupes, la marginalisation de millions de Français et l’omerta publique sur la décomposition sociale ? Ce mystère médiatique s’ajoute aux énigmes de ce double quinquennat.

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Enchaînés dans leur caverne, où s’agitent les ombres d’une réalité qui ne constituent guère la vérité, ces médias s’interrogent sur un monarque énigmatique en proposant à leur lecteurs un fatras de pseudo-enquêtes qui rendent impossible la lecture du fonctionnement de ce roi, présenté comme « ultrasecret » depuis son accession au trône.

En témoigne la rareté de la parole publique de celui qui « n’a accordé que trois interviews, durant ses vingt-quatre ans de règne ». Pourquoi parler quand le pouvoir consiste à relever les défis de son temps, pas à pas, et ce, dans un contexte géopolitique perturbé et très complexe ?

Chez ce chef d’Etat, il n’y a pas d’opposition entre la théorie et la pratique, entre l’agir et la pensée, s’il est maître à bord, il n’est pas omniscient, preuve en est qu’il nomme de plus en plus volontiers à des postes clés de purs experts qui ont une grande compétence dans leur domaine d’attribution. Derrière ce choix, auquel participe un premier cercle du sérail royal, trié sur le volet, qui saisit au quart de tour les orientations du monarque, ces actions sont guidées par une véritable vision du monde et de l’avenir.

Or, c’est ce qui manque le plus cruellement aujourd’hui, en France. Preuve que les journalistes occidentaux n’ont rien compris au personnage, c’est qu’il sont installés dans un monde de clichés qu’ils sortent régulièrement pour conforter leur vision du pouvoir monarchique au Maroc.

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Pourtant, depuis le Printemps arabe, le roi a bien donné un virage à sa politique et le modèle marocain se dirige de plus en plus vers une démocratie où le degré d’implication et de participation des citoyens est plus fort. Ce qui implique effectivement de la sincérité, de l’honnêteté et de la transparence dans l’exercice du pouvoir.

Or, le reproche que l’on fait souvent au roi du Maroc, c’est d’être fidèle à lui-même et de parler franchement à ses ouailles dans un parler simple pour toucher tout le monde. C’est pour cela que dans ses discours, on sent plus l’empathie que le cynisme politique.

Malgré sa discrétion, le monarque est loin d’être un homme de pouvoir et d’intrigue, pour ceux qui le côtoient, il s’agit d’une personne authentique qui aime les gens, qui a toujours envie de bien faire, s’interroge, qui agit selon ses convictions et qui n’hésite pas, en fin de compte, à déléguer. Il croit à ce qu’il fait, même si l’exception marocaine, parce qu’elle bouleverse les préjugés de  certains, sert désormais de repoussoir aux élites françaises.

S’afficher à la tête d’une monarchie qui se veut en même temps une social-démocratie rénovée dérange autant l’extérieur qu’elle bénéficie de la confiance populaire à l’intérieur.  Cela ne veut pas dire que le royaume manque de désabusés, de marginalisés ou d’illusionnés, mais, du moins, le monarque ne perd pas de vue sa mission d’homme d’État.

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Mais pour beaucoup de Français, Mohammed VI n’appartient pas au club. Ce qui est pour certains impardonnable. Pourquoi alors s’offusquer d’un souverain qui préfère travailler et s’occuper de l’avenir de ses sujets au lieu de s’épancher dans la presse internationale ? Un problème de personnes ? Qui peut nier qu’aujourd’hui, entre Emmanuel Macron et Mohammed VI, la rupture est définitivement consommée. Le malentendu entre les deux chefs d’État va certainement perdurer si ce n’est conduire à une rupture définitive.

Quand Macron passe au-dessus du roi et s’adresse directement aux Marocains, éprouvés par un tragique séisme, il montre encore une fois, le peu de cas qu’il fait de la souveraineté de ce pays, même si la presse de l’Hexagone a tenté de minimiser la bourde en parlant « d’erreur de communication ». Sauf que Macron n’a pas été élu pour mener une politique de rupture, il a eu la confiance des Français parce qu’il prétendait être au service de la France mais, en réalité il a cassé la confiance avec tous les pays du Sud.

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Aujourd’hui, il faut juste ne pas se tromper d’ennemi, ce n’est pas le Maroc qui est derrière le déclassement de l’Hexagone, ce n’est pas le royaume qui est derrière la série de putschs militaires survenus dans l’ancien empire français, mais c’est plutôt la France qui a définitivement perdu son crédit auprès de ses alliés historiques que sont le Gabon, le Mali, le Burkina Faso ou encore le Niger.

La défiance profonde entretenue par ses ex-colonies envers Paris repose sur l’entêtement de la France à vouloir s’imposer en gendarme de l’Afrique et son exploitation éhontée des richesses de l’Afrique. La nature ayant horreur du vide, les dirigeants africains se sont naturellement tournés vers un chef d’Etat plus fiable, moins arrogant et qui, cerise sur le gâteau, est à la tête d’une puissance émergente africaine, le Maroc.

Tant pis pour la France de Macron qui n’a pas su s’adapter et se présenter aux yeux des pays africains comme un véritable partenaire. La France n’aura encore une fois que ce qu’elle mérite pour son manque de discernement et de fidélité aux véritables pays amis.

Abdellatif El Azizi