Edito Test tunisien

Les projecteurs seront braqués pendant les deux prochaines semaines sur la Tunisie, pays atypique qui a lancé le « printemps arabe » et qui organise les premières élections libres. L’enjeu est évident : la Tunisie sera-t-elle capable d’instaurer un régime démocratique ? Ou bien une dictature va-t-elle succéder à une autre dictature ? C’est un test pour l’ensemble de la région.

 

L’enjeu est l’instauration d’une démocratie, avec ce que ce terme implique. Et non pas, comme on peut le lire dans une presse internationale jamais à court de clichés, l’arrivée ou nonn des islamistes au pouvoir.

Une démocratie, ce n’est pas la dictature de la majorité, c’est les droits des minorités. Ce sont les libertés individuelles. C’est l’égalité citoyenne. La résolution pacifique des conflits, par la voie du droit. La séparation des pouvoirs. Une justice indépendante, des médias indépendants et professionnels. Des élections libres, transparentes, où les candidats sont égaux devant les électeurs. Un droit positif qui tire sa source de la société dont il émane et de son contexte du moment, et non pas d’une charia élaborée et figée il y a plus de dix siècles, dans un contexte historique, social et géographique différent.

La Tunisie va-t-elle réussir ce pari ? Les indicateurs penchent vers le vert.

Pendant les dix mois de transition, la société tunisienne s’est retrouvée polarisée avec comme ligne de séparation la place de la religion dans le futur Etat. Mais la polarisation est moins forte que l’on ne croit.

La vigueur de la résistance laïque a étonné et agréablement surpris.

Comment se passeront les prochaines étapes ? Dans quelles conditions se passeront les élections ?

Ce qui est sûr :

-Ennahdha va arriver en tête des élections. Les sondages d’opinion de début septembre donnaient à ce parti entre 30 et 45% des sièges. Mais le nombre d’indécis était très élevé : 40 à 60%. On ne sait pas quel sera le score de ce parti.

-Ce parti n’est pas majoritaire dans le pays. Il arrivera en tête sans être majoritaire. Car le camp des partis non religieux est très éclaté, il y a donc un éparpillement des voix.

-Ennahdha sera malgré tout en position de prendre les décisions ou de peser sur elles.

-L’assemblée élue sera une assemblée constituante. Sa tâche principale sera de rédiger la constitution, tout en mettant en place une administration provisoire du pays.

-A la différence des dix mois qui ont suivi la révolution, cette administration provisoire aura toute la légitimité et il y aura donc un gouvernement fort.

-Le pays va être administré d’une manière assez consensuelle.

-Cette seconde période transitoire va durer un an, au bout duquel de nouvelles élections auront lieu pour mettre en place les institutions élues qui seront prévues par la Constitution.

-La Constitution ne sera pas laïque, mais va prévoir et ce pour la première fois dans un pays arabe, la liberté de croyance.

-Même si Ennahdha obtient la majorité absolue en nombre de sièges dans la future constituante, il ne pourra prendre seul les décisions. Une majorité qualifiée des deux tiers sera instaurée.

-Les principaux partis en face d’Ennahdha sont le PDP, Ettakattol, le Pôle démocratique et Afek.

-Un nouveau gouvernement ainsi qu’un chef d’Etat provisoire seront désignés par la nouvelle assemblée.

-Les islamistes arriveront en tête, mais la Tunisie ne va pas basculer dans un régime islamiste. Ennahdha veut une gestion consensuelle pendant quelques années et a publié un programme très « présentable » et, comparativement aux partis islamistes du monde arabe, très « progressiste » en matière de libertés individuelles (égalité hommes-femmes, liberté de croyance, liberté vestimentaire…).

Les incertitudes :

-Le résultat des élections risque d’être contesté par des partis mauvais perdants ;

-La gestion future du pays : la démagogie, le populisme, la mauvaise compréhension de la démocratie risquent de faire adopter de mauvaises décisions.

-Le procès politique, moral et judiciaire de l’ancien régime sera-t-il mené à son terme ? Autrement dit, la page du passé sera-t-elle lue avant d’être tournée ?

-Les islamistes qui vont devenir la première force politique du pays garderont-ils la ligne relativement libérale affichée par Rached Ghannouchi ou bien s’agira-t-il d’un engagement politicien ? y aura-t-il un verrouillage insidieux du pays pour une main mise définitive, à l’iranienne, sur le pays ?

En conclusion, la Tunisie entame une semaine électorale décisive avec beaucoup d’atouts en vue de la mise en place finale d’un régime démocratique. Mais le résultat final ne se verra pas tout de suite ; il se verra dans quelques mois quand auront été rédigés les articles essentiels de la Constitution.

Naceureddine Elafrite

 


(*) Les Tunisiens de l’étranger voteront du 20 au 22 octobre et en Tunisie, le vote aura lieu le dimanche 23 octobre.

 

Naceureddine Elafrite