La chronique du Tocard au Trib’. A Versailles, « Liberté égalité fraternité et couscous pour tous »

 La chronique du Tocard au Trib’. A Versailles, « Liberté égalité fraternité et couscous pour tous »


J'ai décidé d'aller au tribunal. Une belle manière de raconter autrement la France. La Chronique du Tocard devient donc de temps en temps La Chronique du Tocard au Trib'. Épisode 2 : A Versailles, "Liberté égalité fraternité et couscous pour tous". 


La dernière fois que j'ai mis les pieds à Versailles c'était en 2007, et c'était pas pour trouver un nouvel appartement, je n'ai pas encore les moyens et je suis très bien à l'Ile-Saint-Denis (93), mais c'était pour faire visiter à une belle Hollandaise le château et ses jardins.


On se baladait main dans la main et elle disait en anglais "It's wonderful Nadear, thank you very much". Elle était tellement heureuse d'être là.  Moi à l'inverse, je me faisais chier à faire semblant d'être romantique. Je savais juste que c'était le passage obligé si je voulais que la nuit soit savoureuse.


Sur le chemin du retour, on était passé par hasard devant la cour d'appel et elle avait trouvé l'endroit tellement beau qu'elle avait voulu y faire un saut. C'est vrai, de dehors, ça en jetait pas mal. C'était un lieu également rempli d'histoire. Car même si ça ne sentait plus le cheval, c'était ici au 17 ème siècle que la reine de l'époque, Marie-Thérèse d'Autriche, avait installé ses écuries. 


En ce qui me concerne, j'avais réussi à convaincre la belle Hollandaise qu'il était trop tard pour y faire une halte, en lui rappelant que l'heure tournait, surtout quand tu te déplaces en transport en commun. La vérité, c'est que j'avais pas spécialement envie de foutre les pieds dans un tribunal, peu importe la beauté du palais. En tant qu'Arabe, un tel désamour, ça pouvait se comprendre. Ça pouvait avoir aussi des incidences sur ma libido.


Ce mardi 25 avril, dix ans plus tard, j'étais revenu à Versailles. Cette fois-ci, seul. En bagnole, avec ma bite et mon stylo. Je venais assister en tant que journaliste professionnel, carte de presse 106731, au jugement en appel de Bagui Traoré, frère de feu Adama décédé à l'âge de 24 ans en juillet 2016, mort d’asphyxie dans une gendarmerie à Beaumont-sur-Oise dans des circonstances qu'on peut aisément qualifier d'hautement cheloues.


Depuis, comme c'est l'usage dans ce genre d'affaire, une information judiciaire avait été ouverte mais pas besoin d'être avocat pénaliste pour comprendre que les meurtriers d'Adama ne feraient pas une demi-journée de prison. C'est comme ça : n'insistons pas là dessus, ça pourrait énerver les lecteurs. Son frère Bagui, lui, par contre, croupit bien derrière les barreaux. La justice, quand elle veut punir, elle sait faire.


Depuis décembre 2016 donc, Bagui est à Fleury-Mérogis. La double peine. Le type a perdu son frangin dans des circonstances douloureuses et au lieu de lui lâcher la grappe pour qu'il puisse faire son deuil auprès de sa famille, on le fout au cachot. Je pense à sa maman chérie dont le cœur saigne doublement aujourd'hui. Un fils au ciel et l'autre au trou. Liberté égalité fraternité et couscous pour tous !


Avant l'appel de Versailles qui m'a donc fait déplacer chez les Bourges ce mardi 25 avril, il y avait eu un premier procès qui s'était tenu en décembre 2016 à Pontoise. Il paraît que là-bas, flics locaux et juges sont culs et chemises. C'est plutôt une bonne chose donc que le second procès ait lieu ailleurs, dans le 78.


A Pontoise, les juges ont fait honneur à leur réputation et ont reconnu coupable Bagui "d'outrages et violences" à l’encontre de huit gendarmes et policiers municipaux malgré la pauvreté des preuves. 


Pour des faits qui se seraient déroulés le soir du 17 novembre 2016 en marge d’un conseil municipal à Beaumont-sur-Oise, Bagui a pris huit mois ferme dans la gueule mais il a aussi écopé d'une interdiction à l'israélienne : il n'a pas le droit de se rendre dans sa ville natale, à Beaumont donc, où vivent ses proches, et ce, pour deux années. Pan !


La loi a dû changer en 10 ans parce que moi par exemple je me souviens que pour avoir, en 2007, le 7 mai, le lendemain de l'élection de Sarkozy, dit "Nique ta mère" à trois policiers  en tenue, qui l'avaient mérité même si je ne connaissais pas perso leurs daronnes et qui m'avaient emmerdé à 7h du matin avec leur contrôle au métèque à la con, d'avoir juste pris une semaine de travaux d'intérêt général. Et puis de toute façon," outrages" c'est un truc flou. Ça veut rien dire, ça dépend surtout de la susceptibilité du policier que t'as en face.


Ma pote Béné qui a été flic pendant 18 ans n'a jamais collé un outrage de sa vie à qui que ce soit. En même temps, elle est polie avec les gens, elle dit même bonjour et fait des sourires. Et quand bien même, il arrivait que certaines personnes lui parlent mal, elle dit qu'il n'y a pas mort d'homme et que "quand tu décides de faire ce métier,  tu dois accepter les inconvénients. Tu dois accepter que les gens ne t'aiment pas et qu'ils peuvent même te provoquer parfois. Et puis, tu fais pas ce métier pour être aimé !".


En plus des outrages, Bagui a également été condamné pour avoir commis des actes de violences. Là, on s'attend à des trucs de ouf. Mais en fait, il s'agit d'abord d'un crachat. A la barre, la flic, victime du molard a dit le plus sérieusement possible et on était tous mort de rire : "J'ai entendu quelqu'un me cracher dessus". Elle n'a pas vu mais entendu le crachat ! Un jour, il paraît qu'elle a entendu un castor frapper à sa porte et le lendemain quand elle s'est levée, il y avait un gros trou sur sa porte. Non, là pour le coup, je déconne. 


On parle aussi d"un coup au visage qu'aurait reçu une autre nana des forces de l’ordre. Bon, elle n'a pas vraiment vu qui lui a mis la patate, c'est un de ses collègues qui a identifié Bagui. Le coup qu'elle a reçu était tellement violent qu'elle a obtenu… un tout petit jour d'Itt. "Un jour d'Itt, ça veut dire qu'elle n'a rien eu", a rigolé une amie avocate, quand je lui ai parlé de cette affaire. 


15h06, mardi 25 avril. Le procès en appel démarre enfin. Je suis là depuis 13h. Faute de place, la salle est toute petite, on dirait une chambre de bonne louée 800 euros, beaucoup sont debout ou assis à même le sol. Les journalistes, l'élite, a le droit à des bancs. Pour une fois, parce que ça m'arrange, je ferme ma gueule. Le juge autorise les gens à rester. Il semble confiant.  Le procureur, beaucoup moins, qui  s'énerve tout seul alors que tout est calme. "Au moindre bruit, je fais évacuer la salle". Personne ne le calcule.


Le premier procès a duré onze heures. Je pense à mon carosse que j'ai garé juste à côté. Les 2 euros que j'ai mis dans le parc mètre vont fondre comme une grosse en plein été. Bagui apparaît.


Il regarde la salle et voit qu'il y a du monde pour le soutenir. Ça doit lui faire plaisir à l'intérieur mais il reste de marbre. Son regard est fermé. Sa  tête regarde le sol, ses mains sont planquées derrière son dos. Il n'a pas une superbe mine. Comme résigné. Quatre mois qu'il a été placé dans une cage à Fleury, ça doit cogiter dedans. T'as presque envie de l'extraire. T'as sa maman, ses frangines, son frère, qui sont assis juste derrière et t'imagines même pas ce qu'ils doivent ressentir.


L'histoire de Bagui Traoré commence donc le jour de la mort de son frangin. Il est là en juillet 2016 quand Adama meurt. A part les gendarmes qui l'ont tué, il est la dernière personne à l'avoir vu vivant.


Quatre mois après le décès d'Adama, en novembre 2016, il y a un conseil municipal à Beaumont-sur-Oise. Bagui va sur place avec des membres de sa famille et des amis. La situation tourne au vinaigre quand on leur interdit l'entrée. Les flics ont oublié la loi et même que tout le monde a le droit, même ceux qui ne sont pas de la ville, d'assister au conseil municipal.


Ce soir-là, Bagui et ses proches veulent participer aux débats. Ils ont appris que la maire va demander aux élus de la ville de faire voter une aide financière pour qu'elle puisse payer ses frais de justice à venir. Elle a décidé d'aller porter plainte contre Assa Traoré, pour diffamation, parce que la soeur d'Adama a osé dire que madame la maire était du côté des  "violences policières".


Pourtant, factuellement parlant, Assa n'a pas tort. La maire, qui n'a jamais présenté ses condoléances à la famille Traoré a très vite "choisi son camp", en prenant partie publiquement pour les gendarmes meurtriers. Le conseil municipal n'aura finalement pas lieu.  


Le procès carbure à toute vitesse. En deux heures, c'est plié. Le président semble bien faire son boulot et confronte systématiquement les policiers à la parole de Bagui. Du coup, ça saute encore plus à l'oreille que les flics n'ont pas vraiment vu ce qu'il s'est passé ce soir-là.  Ça bredouille. Faut pas avoir fait l'ENA comme Macrotte futur président pour comprendre que Bagui a surtout été choisi parce qu'il est le frère d'Adama Traoré.


Le soir du conseil municipal, c'était le bordel et les insultes fusaient de partout, comme l'ont déclaré tous les témoins. Mais seul Bagui et son frère ont été poursuivis par la justice. Un élu de l’opposition a même fait l’objet d’une plainte pour violences, mais il n'a jamais dû répondre à ces accusations. En foutant Bagui Traoré en taule, la justice voulait frapper un grand coup et éteindre la contestation.


17h08. Le procès est fini. A mon avis, j'ai du choper trois prunes. Plus les villes sont riches, plus elles grattent du fric aux automobilistes, surtout si ils ont une plaque 93. J'aurais dû venir en RER. En plus, pour le retour sur l'Ile-Saint-Denis, va avoir des bouchons, heure de pointe oblige. Mais bon, je ne vais pas me plaindre non plus. Je rentre chez moi, libre.


Bagui, lui, retourne en prison. Le verdict ne sera pas rendu ce soir. Faut encore que Bagui paie. Le 6 juin à 14h, six mois après qu'il ait été foutu en taule, le jeune homme sera fixé sur son sort. C'est dingue quand même ce que la justice peut être lente, parfois…  


Assa, sa sœur, sort dans la cour.  Elle dit fort pour que tout le monde entende : "Une guerre nous est déclarée par la justice et la police". Pour avoir assisté aux débats, on ne peut être que d'accord. "Mais nous sommes des soldats et les soldats se relèvent toujours". J'espère que Bagui, que je ne connais pas, tiendra bon. 


Nadir Dendoune


 

Nadir Dendoune