La chronique du Tocard. Patrick Dendoune

 La chronique du Tocard. Patrick Dendoune


 


Le facteur n’avait pas hésité une seconde à foutre le courrier qui était destiné à un certain Patrick Dendoune dans la boîte aux lettres de mes parents. Avec le temps, il avait fini par me connaître admirablement et plus rien ne l’étonnait. Ce qui n'était pas le cas de ma frangine qui avait regardé plusieurs fois la lettre attentivement avant de la balancer directos à la poubelle.


 


Elle avait encore toute sa tête et peu importait si le courrier était orné de belles décorations et sentait la rose. Sur sa mémoire à elle qui était encore très vive, aucun Patrick Dendoune ne vivait au domicile familial. Pour elle, l’affaire était donc close. 



En apprenant ce que ma sœur venait de faire, j’avais crié à cause de la panique comme émotion et j’étais descendu illico-presto à la benne à ordures retrouver la fameuse lettre. Ma Thérèse, celle qui mettait un peu de couleur dans la grisaille de mon existence, m’avait enfin écrit.


C’était une bonne nouvelle qui méritait largement que je fouille minutieusement dans un tas de merde. J’avais rencontré en 1990 cette fille au physique avantageux "Oh les einss", et qui allait changer ma vie de fond en comble, dans un train long courrier, reliant Paris à Prague. 24h de voyage: on avait donc tout le temps de faire connaissance dans un wagon qui nous appartenait à nous seuls. 



Thérèse-un-qui-l’a-tient, était la fois de la Tchécoslovaquie et de l’Australie, un beau mélange audacieux pour le plus grand bonheur des yeux. Effectivement, elle avait de beaux cheveux lisses et des yeux couleurs Seine.


Comme toutes les filles normalement constituées de part et d’autre, elle rêvait tout haut et en couleurs de l’amour qui allait faire battre définitivement son cœur. Ca tombait bien pour elle : Thérèse avait tout de suite entendu au son de ma voix que j’étais de la France contemporaine et forcément, elle était au courant que le romantisme faisait partie des meubles de chez nous.


C’était pas la première fois qu’elle rencontrait un Français, m'avait-elle dit, elle avait même un ami, avec qui elle correspondait, un dénommé François qui vivait pas loin de la tour Eiffel et ce petit détail m’avait poussé à mentir sur mon prénom. 



C’était pas très glorieux, je l’avoue, de prononcer un tel mensonge mais pardonnez-moi, je n’avais que 18 ans et même si j'avais toute la vie devant soi, j'avais le droit, comme tous les autres à vivre tout de suite, sans plus attendre, une belle histoire romantique. Il faut dire, pour justifier mon choix débile, que j'étais traumatisé de ce que je vivais à domicile.


En France, les Blanches snobaient les Gnoules en tout genre. Pour elles, nous étions que des sales bicots de la banlieue qui puaient. Les choses allaient changer en 1998 lorsque Zidane allait offrir la Coupe du Monde à la France et désormais nous allions devenir à la mode. 



Pour ma part, à force d’entendre dénigrer la culture arabo-musulmane, j'avais donc été contraint de cacher une partie de moi-même que je n’arrivais pas à l'époque à assumer. Aujourd'hui, Wallah, j'en suis fier. 



Thérèse avait trouvé que Patrick était un joli prénom et elle avait les yeux qui faisaient des bulles à chaque fois que j'ouvrais la bouche. Le train s'arrêtait souvent et fort heureusement pour notre amour naissant, personne ne venait nous déranger.


Juste après avoir dépassé la frontière allemande, j'avais décidé de passer à l'acte et j'avais pris sa main. Elle a accepté l'amour en prenant la mienne à son tour. Il manquait plus que la musique douce pour couronner le tout quand Thérèse déposa enfin un baiser sur mes lèvres.


On est resté enlacé ainsi comme des amoureux pendant des heures et j'ai voulu la suivre dans sa famille à qui elle rendait visite, quand le train est arrivé à Prague. Je voulais changer de vie. Thérèse s'est levée, elle avait les yeux trempés, c'était beau, et j'étais même pas au courant que je pouvais être aussi romantique. 



On a juste eu le temps d'échanger nos adresses. Elle vivait à Sydney. La première lettre donc, j'avais failli jamais la recevoir. J'avais fini par dire à ma frangine que je me faisais appeler Patrick pour faciliter les relations avec les occidentales à la sauce blanche. Elle avait trouvé ça stupide et je lui avais fait promettre de ne rien dire à mes parents, qui ne comprendraient pas eux le changement d'origine. 



Notre correspondance avec Thérèse-un-qui-l'a-tient avait duré trois longues années. Dans mes lettres, je ne lui parlais jamais de la cité. Il n’y avait que du rose, de l’espoir, de l’amour avec un grand A. Ça m’aidait à oublier les tours, le hall et le désespoir.


Je recevais trois lettres par mois. Des messages à couper le souffle. A faire rebattre le cœur d'un mort. Thérèse m’aimait comme Roxane aimait le jeune chevalier dans Cyrano de Bergerac. Je savais tout d’elle. Elle m’envoyait des photos de sa famille, ou du jour où elle avait obtenu son diplôme à l’Université. Elle semblait heureuse.


Une fois, elle m’avait dit que ses relations amoureuses tombaient toujours à l’eau parce qu’elle pensait tout le temps à moi. C'est un peu grâce à elle que je suis parti une première fois en Australie. Un voyage qui allait changer le reste de ma vie …


Quand je lui ai dit que j’allais venir vers chez elle pour un raid en VTT, on a commencé à compter les jours. Arrivé aux antipodes, j’ai mis du temps à l’appeler. Le chevalier dans Cyrano se planque derrière les arbres, parce qu’il a peur de se retrouver seul à seul face à sa dulcinée. C’est facile d’être quelqu’un d’autre quand on écrit. Je me suis décidé finalement à l’appeler chez elle.


Septembre 1993, on est arrivé à Sydney avec Yannick, un ami de l'enfance. On a trouvé une piaule à 500 mètres de chez elle. Un pur hasard en fait. Je me suis préparé comme si je recevais l’Oscar du meilleur acteur. J’avais le cœur qui roulait aussi vite qu’un TGV. Le parfum "Byzance" dans la main gauche, en guise de cadeau, j’ai sonné à sa porte.


Elle vivait seule. Et Patrick Dendoune est entré. C’était comme dans un rêve. Il y avait une odeur suave et des lumières de toutes les couleurs qui illuminaient la salle de séjour. On a parlé pour rien dire. On attendait que l’un d’entre nous fasse le premier pas. Pas évident après tout ce temps. J’ai fini par la serrer dans un coin et la nuit a été fabuleuse. On avait dû regarder les mêmes films ou lu les mêmes bouquins.


Malheureusement, quelques jours se sont écoulés et on s’est rendu compte qu’on n’était pas sur la même longueur d’ondes. Et que c’est tellement plus facile d’aimer à travers des lettres. Patrick Dendoune est mort avec la fin de mon histoire avec Thérèse-un-qui-l’a-tient. Ce qui n’a pas empêché Nadir Dendoune, depuis, d’aimer avec la même passion. A la sauce Gnoule …


 


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune