Tunisie. L’indignation de Sadok Belaïd face à la Loi des finances 2012

 Tunisie. L’indignation de Sadok Belaïd face à la Loi des finances 2012

Fort de sa double expertise économique et constitutionnelle

Dans le contexte d’une actualité nationale particulièrement chargée, la cruciale Loi des finances 2012 a été discrètement expédiée à vitesse grand V, en 48 heures, par la coalition majoritaire à l’Assemblée nationale constituante (ANC), sans même que les élus de l’opposition, furieux, n’aient eu le temps d’en examiner le texte.

 

« La conjoncture exceptionnelle justifie la méthode exceptionnelle par laquelle l’ANC a adopté la Loi de finances 2012, après une discussion accélérée », avait alors expliqué le président de l’Assemblée, Mustapha Ben Jafaâr.

« Nous avons adopté rapidement ce texte pour permettre au gouvernement de commencer la nouvelle année administrative dans les meilleures conditions, mais nous attendons la Loi de finances complémentaire qu’il s’est engagé à nous présenter dans les meilleurs délais », ajoutait-il sur un ton défensif.

Pour autant, la situation exceptionnelle du pays excuse-t-elle tout ? Nous avons voulu avoir l’avis éclairé d’un éminent juriste, Sadok Belaïd, compétence unanimement reconnue, lui qui fut le premier constitutionnaliste à enseigner le droit constitutionnel en Tunisie, avant de devenir le doyen de la Faculté des Sciences Juridiques. On le sait peu, mais le professeur Belaïd est aussi passé durant sa longue carrière par le ministère des Finances, en tant qu’administrateur à la direction du budget.

Connu pour son franc-parler, l’homme n’y va pas par quatre chemins pour accuser Ennahdha d’être délibérément passé en force. Fort de sa double expertise économique et constitutionnelle, l’observateur privilégié qu’il est du déroulement des travaux de la Constituante n’hésite pas à réitérer une critique véhémente des procédés avec lesquels Ennahdha entend « concentrer, voire monopoliser tous les pouvoirs », s’agissant cette fois de la feuille de route budgétaire.

« C’est Ennahdha qui mène la danse »

Il avait déjà qualifié d’anti démocratique la mise devant le fait accompli des élus de l’Assemblée lors de la préparation en coulisses du texte, plus tard révisé, de l’organisation provisoire des pouvoirs publics. « Un texte officiellement conçu par la troïka mais rédigé en réalité de A à Z par Ennahdha ». C’est la même méthodologie unilatérale qui est dénoncée par Pr. Belaïd concernant la loi des finances.

« C’est Ennahdha qui dicte la règle du jeu. En sciences politiques, nous savons que celui qui prépare initialement le texte conserve un avantage énorme sur ses interlocuteurs. Même en cas de réticences de ceux-ci, ils ne sauraient réviser en profondeur un texte déjà prêt et structuré ».

Autre satisfaction obtenue par Ennahdha, la non limitation dans le temps des textes votés. Belaïd pense que c’est le Congrès pour la République (CPR) qui, à ce jeu-là, sera le membre de la troïka à préparer le terrain pour un étalement du mandat de la Constituante probablement bien au-delà de l’année à laquelle les autres parties s’étaient engagées.

« Du jamais vu de mémoire d’économiste »

Autre réserve du juriste, le fait qu’une loi organique préexistante n’ait pas été respectée. Devenue une tradition, cette loi datant de 1958 prévoit des dispositions exceptionnelles en cas de vote tardif du budget, permettant de mener une politique budgétaire par paliers de 3 mois d’exercice afin d’assurer à l’Etat un minimum de continuité. Au lieu de cela, le nouveau gouvernement est demeuré à ce jour sans programme politique, prétextant l’absence de budget 2012 qui est un prérequis.

« Les pleins pouvoirs financiers », après les pleins pouvoirs constitutionnels et législatifs, c’est l’objectif qui, selon Sadok Belaïd, est poursuivi par Ennahdha, et qui explique cet empressement historiquement jamais vu dans aucune session parlementaire par le passé : « Ennahdha veut avoir les mains libres. C’est ce qu’elle a obtenu : la paix pendant une année financière ».

Le juriste conclut que nous sommes en présence d’un pouvoir autoritaire comparable à celui de l’ex régime, un pouvoir qui, parce qu’il est centralisé aux mains d’une seule entité, « peut facilement dériver ».

L’homme finit par asséner une critique sans ménagement de la déclaration de politique générale de Hamadi Jebali qu’il qualifie de populiste et d’irresponsable. « On annonce des projets mais sans les moyens de les réaliser ». Référence aux effets d’annonces sensationnalistes de la création de centaines de milliers d’emplois. Des vœux pieux au regard du conservatisme fiscal caractérisant la nouvelle loi des finances.

 

Propos recueillis par Seif Soudani

Seif Soudani