Point de vue. Mondialisation du bien, dé-mondialisation du mal

 Point de vue. Mondialisation du bien, dé-mondialisation du mal

© AFP

Peuples, politiques et élites ne se rendent pas compte parfois de leur incohérence. On a tendance avec le covid-19 à s’attaquer à la mondialisation, perçue comme une malédiction, dont ils font pourtant librement usage de ses bienfaits au quotidien de manière consciente ou inconsciente.

 

Il est dans la nature des peuples, comme des individus, du Nord comme du Sud, de n’adhérer spontanément qu’aux choses dans lesquelles ils trouvent un quelconque intérêt, plaisir, avantage… Ils sont prêts à tolérer des inconvénients supportables pour peu que leur jouissance reste intacte. Mais, dès que cela tourne à l’envers, dès que l’objet de désir se transfigure en objet de souffrance, ils brûlent aussitôt ce qu’ils ont adoré la veille. La mondialisation est une de ces choses. On profite de ses bienfaits, on vocifère ses méfaits. On aime la mondialisation des avantages, mais on dé-mondialise ses inconvénients. Les opinions et les politiques du monde vivent une sorte d’hypocrisie planétaire, causée par cette crise sanitaire exceptionnelle et les bouleversements issus de la dangerosité du coronavirus, un prétexte pour condamner péremptoirement la mondialisation.

On a soudainement oublié que la mondialisation est un fait sociologique qui s’est propagé à une grande vitesse depuis environ trois décennies. Il suffit de feuilleter les journaux pour se rendre compte que tous les secteurs de la vie économique, sociale, technologique et culturelle sont passés jour après jour, et de manière irrésistible, de la localisation à la globalisation, au point que, parlant de la réalité mondiale des peuples, un auteur indien, Vidiadhar Naipaul, nous rappelle que le stade humain actuel est entré dès les années 90 dans ce qu’il appelle la « civilisation universelle ». Une civilisation qui ne cesse, malgré les conflits identitaires et les résistances culturelles et politiques, de produire sa propre histoire, de grignoter sur les cultures locales et nationales, sans les supprimer pour autant.

Peuples, élites et jeunes ont appris à dialoguer avec la mondialisation depuis plusieurs années, malgré ses contraintes, ses inégalités, ses multinationales gigantesques, maîtresses de l’ordre économique et politique mondial. Ils dialoguent avec elle en raison de ses bienfaits technologiques. Ils dialoguent avec elle, parce que la mondialisation n’est pas seulement une forme d’hégémonie économique des grandes puissances capitalistes, dont nul ne peut en disconvenir de ses effets, elle est aussi un progrès technologique et scientifique. Tout le monde profite de ses « applications », internet, Smartphones, images, vidéos, de ses innombrables usages ludiques et joyeux, du numérique, de Netflix, des réseaux sociaux. Tout le monde est membre de la mondialisation à travers Facebook, Twitter, Instagram ou autres réseaux. Même les modèles de cours à distance, de visioconférences, utilisés en masse aujourd’hui un peu partout en période de confinement sanitaire, d’arrêt du travail et de scolarité, sont le pur produit de ce progrès technologique facilitant échanges de personnes, de biens et de savoirs. La démocratie du savoir ou la « sagesse des foules » d’aujourd’hui, notamment à travers les serveurs mondiaux, Wikipédia, Google, YouTube ou la blogosphère, marquant un coup de pouce de la mondialisation, transperce immanquablement les frontières culturelles et éducatives.

Les grandes puissances veulent en temps normal conquérir le monde par leur marché et s’isoler en cas de crise, les pays du Sud sont avidement demandeurs de regroupements internationaux, économiques et politiques, même s’ils n’en ont pas les moyens. Les pays arabes étaient pressés d’adhérer aux politiques de voisinage avec l’Europe, puis à l’ALECA, ou d’entrer avec des préférences tarifaires au marché américain, ou d’avoir des relations privilégiées avec des instances pourvoyeuses de la mondialisation, comme la Banque mondiale ou le FMI.

Quasi consensuelle en temps normal, la mondialisation est devenue objet de contestation mondiale par le fait du Covid-19. Pour survivre il faudrait nier les autres peuples, les autres pays, nier la mondialisation. Goethe n’a pas tort, « l’esprit humain nie toujours ». Il se rend à peine compte de sa versatilité. Le Covid-19 provient du communisme, et on le taxe d’un virus capitaliste, puisque le débat est ramené à ce niveau. Trump parle du « virus chinois » de manière dédaigneuse, Xi Jinping lui réplique aussitôt que le Covid-19 est introduit en Chine par la CIA. Macron menace de décrocher de la mondialisation (le pourrait-il ?). Le reste du monde enrage à l’occasion contre la mondialisation, sans se soucier de sa cohérence. La Chine est, faut-il rappeler, elle-aussi, un des acteurs hégémoniques de la mondialisation par son impérialisme technologique et économique et par son statut de membre à l’OMC, incarnation du capitalisme mondial. Toute la planète attend impatiemment vaccins et remèdes d’urgence des capitalistes, moteurs de la mondialisation, de leurs laboratoires, ou encore des chercheurs chinois, assez avancés, semble-t-il, en la matière. Pour le Sida, on a taxé la bestialité africaine, pour le Sars, l’alimentation animale de mauvais goût des Chinois et des Asiatiques. Pour le Covid-19 la mondialisation. A chacun sa sanction. Tout ce charivari s’explique- t-il par la ruse de la raison, l’esprit qui nie ou la versatilité de l’esprit humain, allergique à la souffrance ?

Le monde arabe, qui s’y met lui aussi contre la mondialisation, reste un spectateur traditionnellement non engagé, friand de spectacles et grand consommateur de la productivité créatrice d’autrui. Pourquoi, au lieu de récriminer la mondialisation, ne pas blâmer la politique sanitaire du pays, l’insuffisance de l’infrastructure des hôpitaux, l’absence d’anticipation des gouvernements, la faillite du service public de la santé, l’absence de véritables réformes éducatives, la corruption des politiques, l’indiscipline des populations, la défaillance des politiques publiques et du désordre des finances publiques ? Les gestionnaires apprennent à prévoir même l’imprévu, pas nos politiques, qui ne brillent pas par leur hauteur de vue et par le sens de l’improvisation et de l’adaptation politique en cas de crise. Les stratégies sont dictées en gros aussi par la mondialisation.

La mondialisation est surmultiplication des échanges, déplacements, réseaux, facilités par le progrès technologique. Faut-il en vouloir à la technologie qui favorise les flux des hommes, des biens et des services, ou à la mondialisation ou au capitalisme ? Richesses, savoirs, développement, comme les bactéries, parasites et virus font le tour du monde. On ne peut choisir l’une sans l’autre, la mondialisation du bien et la dé-mondialisation du mal. C’est la même réalité de notre village planétaire, de notre destin désormais commun.

 

Hatem M'rad