Sonia Krimi : « Je sens de la peur face à la diversité d’opinions »

 Sonia Krimi : « Je sens de la peur face à la diversité d’opinions »

Crédit photo : Jacques Demarthon/AFP


En juin 2017, elle devenait députée de la Manche sous l’étiquette En Marche (LREM). Un an plus tard, la Franco-Tunisienne se montre très critique vis-à-vis de la loi asile-immigration et réservée sur la politique sociale du gouvernement


Comment vous positionniez-vous politiquement avant de devenir députée LREM ?


Socialiste. D’une gauche plus proche de Dominique Strauss-Kahn que de Manuel Valls ! Je suis sociale-libérale, mais libérale au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire pas uniquement sur le plan économique. Je suis, par exemple, favorable au mariage pour tous, à la ­procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes et à la légalisation des drogues douces.


 


Pourquoi avoir rejoint En Marche ?


J’ai passé une tête au Parti socialiste en 2012 et une seule réunion m’a suffi. Je suis venue chercher de la fraîcheur, et je n’ai vu que des gens se caressant dans le sens du poil, trop éloignés du terrain. J’en ai marre du clientélisme entre des mairies et des associations comme SOS racisme ou autres, auxquelles on donne de l’argent pour occuper les gens avec un peu de danse orientale. Pour l’égalité des chances, c’est plutôt d’accès à la culture ou à la réflexion dont on a besoin. La majorité des gens restent silencieux, car on ne les regarde ­jamais. J’aimerais voir davantage de personnes de couleur, des habitants des cités, etc. Chez En Marche, j’ai senti une aspiration à brasser et à intégrer. Et j’ai été ­séduite par le discours “ni de droite, ni de gauche”, qui disait “libérons le travail mais protégeons les individus”.


 


Votre implantation locale s’est déroulée après de multiples péripéties…


Je ne faisais pas partie des proches d’Emmanuel ­Macron. Je voulais simplement qu’il gagne. Quand j’ai vu que personne ne se présentait à Cherbourg, je me suis décidée à y aller. J’ai fait campagne, puis certains, comme Blaise Mistler (l’ancien soutien local d’Alain ­Juppé, ndlr) se sont rapprochés du mouvement à la dernière minute, afin d’obtenir l’investiture. J’ai senti le coup venir, mais je ne suis pas intervenue, car je faisais confiance à En Marche. Quand ils ont ­investi cette ­girouette de la vie politique, j’ai compris que l’histoire du collectif et de la base qui décide n’était pas totalement vraie. On a fait campagne à l’horizontal, mais la verticalité a commencé dès les élections. On oublie souvent qu’au final, ce sont les gens qu’il faut convaincre. Alors, j’y suis allée quand même.


 


Quel bilan tirez-vous un an après l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, réformes et conflits sociaux compris ?


Même si des mesures sociales sont prises – augmentation de l’allocation aux adultes handicapés et du minimum vieillesse, dédoublement des classes dès 2017 –, je suis contrainte de défendre nombre de réformes cataloguées à droite : l’assouplissement du Code du travail ou de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la loi sur la sécurité intérieure, etc. Des bêtises ont été commises : la baisse de 5 euros par mois de l’aide personnalisée au logement (APL) ou l’augmentation de la contribution ­sociale généralisée (CSG), qu’il faut corriger a posteriori. Ces décisions nous collent à la peau. Nous devons donner plus de signaux qui vont dans le sens “protéger/libérer”. Aujourd’hui, on libère beaucoup, mais on n’a pas assez protégé.


 


Qu’est-ce qui vous gêne le plus ?


Il y a beaucoup de points à revoir. Il faut écouter les citoyens et ne pas faire semblant de construire avec eux. Je sens parfois une verticalité dans l’exercice du pouvoir, y compris au sein d’En Marche. Je ne sais pas ce qu’on a raté. Est-ce la jeunesse du mouvement ou la communication du Président ? Je trouve que la présence trop agressive de LREM dans les médias ou sur les réseaux sociaux nous dessert. En outre, on ne réussit pas à intégrer toutes les voix. Je sens de la peur face à la ­diversité d’opinions. Une partie de LREM était déjà dans les cabinets. Ce faux “nouveau monde” fait finalement de la politique comme dans “l’ancien monde”. On est au moins une trentaine de députés du groupe à le penser. Comme disait François Bayrou, “si on pense tous la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien”.


 


Malgré tout, vous n’avez pas quitté le mouvement…


Non, en effet. Les gens nous ont élus pour qu’on fonctionne autrement. On doit faire preuve d’empathie. Cela n’empêche pas d’avoir le courage de dire ce qu’on peut faire ou non. C’est bien de tenir le cap, d’être efficace, mais la France n’est pas une entreprise. Sinon, il faut fermer les hôpitaux pas assez rentables ou laisser les prisons en l’état, car ça ne rapporte rien. J’ai aussi du mal avec la critique systématique des corps intermédiaires. Je suis choquée de voir des élus LREM critiquer le Défenseur des droits ou dire que ça ne sert à rien d’écouter les responsables de la Cimade (association de soutien aux migrants, ndlr). Même si ces derniers sont militants, ils ont des choses à dire ! Sinon, n’écoutons pas les patrons non plus.


 


Pourquoi vous être abstenue lors du vote de la loi asile-immigration, en avril, alors que vous vous opposiez au texte ?


J’ai interpellé Gérard Collomb (ministre de l’Intérieur, ndlr) afin d’obtenir des avancées, telles que la fin du ­statut de “pays d’origine sûr”, quand les droits des homo­sexuels ne sont pas respectés, ou la limitation de la durée maximale de rétention à 90 jours (au lieu de 45 actuellement), et non plus à 135 comme annoncé. Mais malgré les menaces de Richard Ferrand (président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, ndlr), je ne pouvais voter pour un projet qui n’a pas eu l’audace d’en finir avec la rétention des mineurs. Les lois d’opportunités qui vont dans le sens de l’opinion finissent toujours aux oubliettes. Pire, elles mettent en danger la société. Cette loi est dangereuse. Si j’avais renversé la table, je serais devenue l’héroïne de la gauche, mais personne ne serait sorti gagnant. Je fais partie de la majorité et j’ai envie de peser en interne, de débattre sur tous les projets.


 


On a parfois l’impression que la politique libérale du gouvernement ne vaut que pour l’économie ?


Je sens en interne un courant catholique ou musulman de droite qui freine toute évolution. J’espère que Macron, qui a toujours eu un discours équilibré, ne se retient pas à cause de cela. Murmurer à l’oreille des ­réacs n’a jamais marché. Ces gens-là demandent toujours plus de gages et, au final, ne vous soutiennent jamais. Avec la loi asile-immigration, le pouvoir a placé le curseur en se disant que si ça plaisait à une partie de l’extrême droite, c’était tant mieux. C’est dangereux. Le projet d’En Marche était de rassembler tous les progressistes. Macron a ­récupéré énormément de votes du PS, les 6 % de Benoît Hamon en attestent. A ce jeu, on risque de perdre leur soutien.


 


Savez-vous vraiment ce que pense Emmanuel ­Macron sur certains sujets, comme la légalisation des ­drogues douces, par exemple ?


Sur ce sujet, je crois avoir compris qu’il n’est pas contre, mais j’ignore s’il est pour (rires). Quoi qu’il en soit, on ne peut pas être d’accord sur tout avec lui, sinon ça s’appelle la Corée du Nord. Mais je l’ai rejoint en connaissance de cause. Au moins, il est pragmatique et il y va ! Et je pense qu’il va y avoir beaucoup de réformes sociales à venir. En tout cas, j’ose encore l’espérer. 


 


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Yves Deloison