Dr L. Toro : « On a utilisé le système D pour s’en sortir »

 Dr L. Toro : « On a utilisé le système D pour s’en sortir »


Ludovic Toro est triplement en colère ! En tant que médecin de ville, il ne comprend pas pourquoi ils n'ont été sollicités que tardivement pour la crise. Le maire UDI de Coubron (93) se dit aussi déçu par le peu d'investissement du gouvernement avec les collectivités locales. Enfin, le conseiller régional, président de l'Observatoire Régional de la Santé (ORS) et  auteur d'un rapport sur le désert médical en Ile-de-France, nous révèle la situation sanitaire de la région.


En tant que médecin de ville, comment appréhendez vous la situation actuelle ?


La situation n’a pas été prise comme il le faut. Le gouvernement nous a parlé en février de « gripette » alors que le  premier cas est apparu en janvier. Nous aurions dû être réactifs après ce qu’il s’est passé en Chine ou en Italie. On savait que ça allait arriver. En tant que médecin généraliste, on a consulté pendant plus de 15 jours, sans aucune protection. Pareil dans les hôpitaux qui ont été sans masques. C’est un manque total de préparation au point de vue médical et de santé publique. Sur les masques et les tests, c’est une caricature aujourd’hui ! Dans les faits, nous avons un mois de retard !


Vous dites que l’on a un mois de retard. Cela signifie que ni les médecins, ni les infirmiers, ni personne n’a été préparé.


C’est à l’Etat de préparer tout ceci. J’ai géré le H1N1, il y a une dizaine d’années. On a critiqué à l’époque en évoquant que l’on a surréagi. Les cabinets médicaux et les mairies avaient reçu de quoi se protéger. Aujourd’hui, on a sous-réagit.  Je n’ai aucune dotation de l’Etat dans ma mairie alors que par exemple, on doit assurer la livraison de repas aux plus fragiles. On a passé le temps aussi à énerver le corps médical en lui donnant des instructions (comme le port du masque) en totale contradiction avec la réalité médicale.


Avez vous l’impression que les médecins de ville ont été oubliés ?


Le 19 mars 2020, nous n’avions reçu aucun message des autorités sanitaires. Rien, rien du tout ! Maitenant, on nous demande d’agir. On aurait du être dans la boucle depuis le début pour pouvoir préparer. On fait tout dans l’urgence. Il y a une révolte des gens et des soignants par rapport à tout ce qui a été dit. On a déposé une plainte pour arrêter l’immobilisme. On doit savoir où cela a failli, pourquoi il y a eu ces discours mensongers et surtout pour préparer le futur. Si l’on a un virus plus contagieux et qui fait plus de dégâts, il faut que l’on soit préparé !


Vous êtes maire de Courbon en Seine-Saint-Denis. Avez vous pris votre part dans la gestion de la crise en tant que collectivité locale ?


Il y a des incohérences que je ne m’explique pas. Comment en phase 3 d’une pandémie, on pousse les gens à aller voter pour les municipales le lendemain ? Comment on peut prendre ce genre de décision ? Nous n’avons eu aucune aide matérielle de l’Etat pour organiser ces élections. C’est encore le cas aujourd’hui. On a aucune aide de l’Etat pour garder les enfants des soignants, des policiers,…Nos personnes âgées ont aussi besoin de notre aide. On s’est appuyé sur de l’aide citoyenne. On a demandé aux personnes de la commune de venir en aide aux personnes âgées par exemple.


En fait, vous vous êtes débrouillés seuls…


C’est carrément le système D.  J’ai mis 6000 sur chaussures de mes cantines à l’hôpital de Montfermeil. Avec des patrons, j’ai pu avoir 35 couturières qui nous aident pour faire nos propres masques. On aurait du passer par les maires qui sont les plus à même de connaître la situation de leur commune. Maintenant, on leur demande de tout faire. On avait les mois de février et mars pour se préparer. Ce n’est pas de la politique ou pour être contre le gouvernement. Il faudra que l’on nous apporte les réponses sur cette désorganisation.


Vous êtes aussi conseiller régional en Ile-de-France. Qu’a pu faire la région ?


La région, comme les départements, comme les communes ont pris le relais de l’Etat défaillant. Ils sont en contact avec la population. Des commandes de masques pris par les régions, ont été réquisitionnés par l’Etat. La région a donné de l’aide pour de la télémédecine. On a fourni des masques aux mairies à hauteur de 20% de la population pour que le personnel communal puisse travailler. Elle a aussi fourni des masques aux pharmacies à hauteur de 1000 masques chirurgicaux par officine.


Vous êtes l’auteur de plusieurs rapports sur les déserts médicaux. Où en trouve t’on en France ?


Il y a des déserts médicaux à la campagne mais aussi en Ile-de-France. En Seine-Saint-Denis, c’est particulièrement flagrant. C’est la résultante de la fragilité de notre système de santé. Quand vous mettez à bas les hôpitaux, quand vous n’aidez pas les généralistes, on aboutit à une paupérisation du nombre de soignants. Quand il y a une pandémie comme c’est le cas actuellement, on voit bien que c’est à flux tendus. La situation actuelle doit faire comprendre à nos gouvernants à quel point la santé est quelque chose de primordiale. Le plus important c’est la vie !


Plusieurs urgentistes de la Seine-Saint-Denis sont en arrêt maladie du fait du COVID19


S’ils tombent malades, c’est normal ! Cela signifie que l’on est mal protégé. Déjà, il n’en y avait pas assez. Un rapport expliquait que les personnes de Seine-Saint-Denis allait quand les symptômes étaient importants faute de pouvoir être traités avant. En ce qui concerne notre ville où nous sommes 3 médecins, on a en un qui est tombé malade. Les services médicaux des départements d'Ile-de-France se sont aidés entre eux. Il y a une mobilité très importante des soignants dans toute la région. On ne pourra faire sortir les gens que lorsqu’on mettra des tests massifs à toute la population. Sinon, ça va repartir d’aussi belle ! Les citoyens sont très énervés quand on voit que l’on n’a pas de masques. Les gens ne comprennent pas.


Vous avez fait une proposition intéressante pour le Haut Conseil Scientifique


J’ai écrit une lettre au président de la République pour demander qu’il accueille en son sein une représentation d'infirmier anormalement absente à ce jour. Un peu de terrain, de vérité et d'efficacité me semble indispensable pour les longs mois qui se présentent devant nous quant à la gestion de cette crise sanitaire. Surtout si l’on se refère aux nombreuses erreurs déjà commises. Il fallait faire cette démarche citoyenne car c'est notre santé qui est en jeu ! Osons le faire !


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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.