Thé nocturne au pied de la cité

 Thé nocturne au pied de la cité

crédit photo : Miguel Medina/AFP


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


Ex-détenu, Yazid Kherfi a voulu faire de son passé une force. Convaincu que la lutte contre la délinquance passe avant tout par la prévention, il a fondé Médiation nomade. Le concept est simple : sillonner les quartiers de France en camping-car et proposer aux habitants de boire un thé à la nuit tombée. Immersion. 


Le temps est étonnamment clément en cette soirée d’automne. Non loin du château d’Amboise, en Indre-et-Loire, le quartier prioritaire de la Patte d’Oie est plus animé qu’à l’accoutumée. Il est 20h15. Un camping-car haut en couleur a élu domicile sur la place de la Croix-Besnard. Chamarré de dessins et de citations, on peut y lire des mots comme “fraternité”, “pouvoir d’agir”, “non-violence” ou “partage”.


Devant le véhicule, une terrasse a été installée. Sur la table pliable, du jus d’orange, des gâteaux apéritifs et du thé à la menthe, dont les effluves se répandent. De la musique s’échappe d’une grosse enceinte. D’abord Claude François, puis Manu Chao, en passant par Brassens ou des morceaux plus modernes… Le quartier, ­illuminé par deux spots colorés, prend des airs de discothèque en plein air. Une cinquantaine de personnes sont présentes. Deux clans se dessinent. D’un côté, les travailleurs ­sociaux et quelques habitants de la cité ; de l’autre, les jeunes du quartier, qui préfèrent rester en retrait en se postant à plusieurs mètres du camion.


Yazid décide d’aller les voir. “Salut les jeunes. Ça va ? Comment vous vous sentez ici ? ça se passe bien dans le quartier ?” L’homme au crâne dégarni et au large sourire a le contact facile. Le dialogue s’installe naturellement. “Il n’y a pas grand-chose pour nous ici”,confie Kiwi, un grand jeune homme au physique d’athlète. “Et ce qu’il y avait pour nous, on nous l’enlève. Plutôt que de retaper notre terrain de foot, la municipalité va en faire une maison de retraite”, déplore un autre jeune homme, presque résigné. Les échanges se poursuivent dans un climat de confiance.


 


Quelques élus sont de la partie


Loin de jouer le moralisateur, Yazid offre à ces jeunes la possibilité de s’exprimer librement. Et quand la parole leur est donnée, ils la prennent volontiers. Celui qui, il y a quelques années, était derrière les barreaux, profite désormais de sa liberté pour tendre la main à ces personnes qui se sentent délaissées. “Etre délinquant est la conséquence de mauvaises rencontres. Il faut donc intervenir en amont, forcer les belles et bonnes rencontres. C’est ce que je fais”, affirme-t-il.


Autour de la terrasse, les discussions vont bon train entre médiateurs sociaux, éducateurs, membres du Conseil citoyen(1) de la ville et quelques élus – dont ­Fatima Hamou, déléguée du préfet d’Indre-et-Loire. En quête de solutions pour améliorer le quotidien des habitants, ils se réjouissent de voir Médiation nomade débarquer ici. “C’est une excellente initiative.” “Monsieur Kherfi sait parler aux jeunes et son vécu intrigue et fascine.” “C’est de personnes comme lui dont on a besoin pour rétablir un dialogue intergénérationnel, pour instaurer de la mixité sociale”, peut-on entendre au fil des conversations. Deux voisines quinquagénaires vivant dans la cité sont attablées devant le camping-car. Elles feuillettent avec attention le nouveau livre de Yazid, au titre évocateur, Guerrier non violent(2).


 


Enclencher des dynamiques positives


Une quinzaine de personnes se dirigent vers la place. A leur tête, Mariama, une pétillante professeure de ­fitness. Les mères de famille et leurs enfants déposent des mets sur la table : salades, bonbons, gâteaux en tout genre… Un mélange d’arômes et de parfums envahit peu à peu la place. Un assortiment de couleurs et de senteurs qui font leur petit effet, notamment sur les jeunes qui, peu à peu, s’approchent et se laissent tenter par un cake poire-chocolat ou un canapé thon-tomate.


Acteurs locaux, associatifs, institutionnels, jeunes et moins jeunes commencent alors à discuter, à rire aussi. Certains se mettent à jouer au Puissance 4 géant installé devant la “Yazid mobile”. Investir l’espace public dans des quartiers livrés aux représen­tations négatives, en faire un lieu d’animation et de ­dialogue, faire se rencontrer des personnes qui ne se ­côtoient pas d’habitude et enclencher des dynamiques positives, tels sont les enjeux et les motivations de ­Médiation nomade. Objectif atteint à Amboise ce soir à en juger par les conversations qui se nouent. Quelques minutes plus tard, les jeunes ­regagnent leur point de départ, non sans avoir pris un dernier thé et gâteau au passage. L’échange a été de courte durée, mais il aura au moins eu le mérite d’exister… Yazid est persuadé que cette rencontre fera naître de nouveaux projets au sein du quartier.


 


“Nous devons apprendre à vivre ensemble”


Une citation de Martin Luther-King, fièrement exposée sur la structure ambulante, prend un sens particulier en cette belle nuit étoilée : “Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots”. Des mots qui résonnent avec force à la Patte d’Oie et qui risquent de marquer le quartier d’une empreinte indélébile.


Il est 23h15, beaucoup sont déjà rentrés. Yazid commence à plier bagage, aider par quelques Amboisiens. Soudain, une voiture de gendarmerie passe par là. “Avez-vous un arrêté pour être ici ?” demandent les agents. Tout est en règle, ils repartent tranquillement. “Ils auraient pu venir avant pour discuter avec les jeunes. C’est dommage. C’est par le dialogue et la proximité que les tensions peuvent s’apaiser”, déplore Yazid. Une fois les tables et bancs pliés, et les verres de thé rincés, il est temps de saluer les derniers jeunes encore présents. Poignées de main chaleureuses et échanges de sourires sont de rigueur. Minuit, le quartier tombe dans les bras de Morphée… Le camion part pour de nouvelles aventures. Demain, direction la Verrerie, un autre quartier d’Amboise. 


(1) Une structure de démocratie participative visant à réduire les inégalités entre les territoires et à améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers prioritaires.


(2) Un livre paru en octobre 2017 aux éditions La Découverte. Il y ­explique sa méthode pour prévenir la délinquance.


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Jonas GUINFOLLEAU