Nordine Oubaali : « A la mémoire de mon papa »

 Nordine Oubaali : « A la mémoire de mon papa »

crédit photo : Christian Peterson/Getty Images/AFP


Le 19 janvier, le boxeur a signé un exploit retentissant en devenant le premier Français Champion du monde à Las Vegas, le temple du noble art. A 32 ans, ce fils d’immigrés marocains a dédié ce Graal à son père.


Vous avez grandi à Drocourt (Pas-de-Calais), dans une famille de 18 enfants. Est-ce là que vous avez puisé les valeurs qui vous ont permis d’atteindre les sommets ?


Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. Mes parents sont arrivés du Maroc dans les années 1960 pour nous offrir un avenir meilleur. Mon père a travaillé énormément : le jour dans un garage Renault, la nuit à la mine et, durant les vacances, il conduisait des autocars pour faire des allers-retours entre la France et le Maroc. Je suis admiratif de son parcours, il y a laissé sa santé. Pour nous. Mais il nous a inculqué les valeurs de travail, le respect, la combativité et la persévérance.


 


C’est d’ailleurs à votre père, disparu en 2000, que vous avez tout de suite dédié votre victoire…


Ce championnat du monde, je l’ai fait à la mémoire de mon papa, de mes origines. J’ai porté nos deux drapeaux, celui de la France et celui du Maroc. C’était important pour moi de montrer à ces jeunes issus de l’immigration en France que dans la vie, tout est possible. Il faut être fier d’être français, nous n’avons pas à nous insérer, nous sommes français ! Il ne faut pas non plus oublier ses origines, je suis fier d’être marocain.


 


Vous êtes le premier Français à décrocher le titre de champion du monde à Las Vegas : un message envoyé à la jeune génération ?


Bien sûr. Un message qui dit que si dans la vie tu as un objectif, à force d’efforts, tu peux y arriver. Le plus important, c’est d’être plus fort que les obstacles et faire preuve de patience. C’est ainsi que, dans la vie, tu arriveras toujours à ce que tu veux ; peut-être pas autant que tu le voudrais, mais tôt ou tard, tu vas y arriver. Il ne faut pas abandonner, garder la foi et la motivation. Tu vas les chercher autour des gens qui te soutiennent, des valeurs inculquées par tes parents ou par des gens rencontrés dans ta vie.


 


De quand date votre initiation à la boxe anglaise ?


Je suis né dedans. Mon papa aimait la boxe, il a été boxeur, il voulait qu’on fasse du sport. Mon grand frère Moussa, qui faisait du pied-poing, m’a poussé, avec mon frère Ali (désormais son entraîneur, ndlr), à nous mettre à la boxe anglaise. Je voulais faire du pied-poing à 8 ans, mais j’étais trop jeune, alors j’ai commencé par la boxe éducative. Ali m’a convaincu que plus tard, j’aurai plus de perspective de faire carrière par ce biais, ne serait-ce que par la section sport-étude. Il fallait penser à sa reconversion, car le sport peut s’arrêter du jour au lendemain. Mon père m’a toujours dit : “Les études avant, le sport après. Mais il faut faire du sport pour avoir un équilibre dans la vie.” Quand on est à l’entraînement, c’est du temps qu’on ne passe pas à la maison à tourner en rond, ou à faire des bêtises dehors. Le sport, ça te donne une autre idée de la vie, ça t’apporte les valeurs de persévérance, de courage, de respect du matériel.


 


Aux Jeux olympiques de 2008 et 2012, vous avez été “volé” par les arbitres et vous avez décidé d’arrêter…


Oui, j’ai été volé, et malheureusement, ça n’a pas créé la polémique que ça aurait mérité. En 2008, j’étais jeune et, face à moi, il y avait la star locale… Mais en 2012, perdre ce combat de cette manière… Au moins, ça a permis de faire bouger les lignes, puisque nous avons remporté six médailles à Rio en 2016. Alexis ­Vastine, paix à son âme (le boxeur est décédé en 2015 dans un tragique accident d’hélicoptère, ndlr) et moi, nous aurions dû être médaillés. J’ai arrêté durant deux ans, car j’étais dégoûté de l’arbitrage olympique. Puis je suis passé professionnel pour réaliser mon rêve : ­devenir champion du monde.


 


Et vous l’êtes devenu. Ce titre, c’est une revanche ?


Exactement. J’ai montré que la persévérance, ça paye. Je suis champion du monde et je marque l’histoire de la boxe tricolore et marocaine. J’ai réalisé mon rêve de gosse en allant décrocher le titre à Las Vegas, face au seul Américain à avoir disputé trois olympiades et qui avait été champion du monde unifié. J’ai prouvé que j’étais le meilleur, chez lui. Le clan américain a tout fait pour nous faire perdre patience, en décalant la date du combat plusieurs fois, mais le principal, c’est l’arrivée. Il faut être plus fort que les obstacles.


 


Le roi du Maroc a d’ailleurs publié un communiqué pour vous féliciter. Ça vous a touché ?


C’était énorme, par rapport à mon papa. De porter le nom de Oubaali sur le toit du monde et d’être félicité par Sa Majesté le roi, ça n’a pas de prix. Je suis allé au bout de mon rêve. Penser à mon papa, c’est ce qui m’a donné cette force.


 


Quelle va être la suite ? Peut-on espérer vous voir défendre votre ceinture au Maroc ?


Tout est possible, si les instances sont d’accord. Je vais défendre ma ceinture. J’ai un challenger direct, un Japonais, nous verrons où se passera le combat. Combattre au Maroc, ce serait une grande fierté, en l’honneur de mon père. Mon premier combat professionnel avait eu lieu à Marrakech, j’espère y retourner bientôt.


 


Nordine Oubaali : Un parcours de champion


Fils d’Azzouz et de Milouda Oubaali, immigrés marocains, originaires du village ‘44’, entre Agadir et Taroudant arrivés en France dans les années 1960, Nordine est le 13e enfant d’une famille qui en compte 18 ! Il commence la boxe à l’âge de 8 ans, soutenu par ses frères et son père, ancien boxeur. Doué, il devient champion de France cadet, avant d’intégrer l’équipe de France junior à 16 ans. Le garçon participe à toutes les grandes compétitions et décroche une médaille de bronze aux championnats du monde amateurs en 2007 à Chicago. Champion de France de 2006 à 2010 en poids mi-mouches, il connaît deux grosses désillusions en 2008 et 2012 lors des Jeux olympiques. “Volé” par les arbitres, il finit par jeter l’éponge, “dégoûté par l’arbitrage olympique”. Soutenu par sa femme et sa famille, Nordine Oubaali renfile les gants pour passer pro. Après 15 victoires en 15 combats, dont 11 par K.-O., il décroche le titre de champion du monde WBC poids coq à Las Vegas, le 19 janvier 2019. “Un rêve de gosse.”

Jonathan Ardines