Transition libyenne : est-ce l’heure de la grande désillusion ?

 Transition libyenne : est-ce l’heure de la grande désillusion ?

Najla Mangoush

De l’eau a coulé sous les ponts depuis mars 2021, lorsque le monde entier était agréablement surpris par la composition du gouvernement de transition de l’homme d’affaires Abdelhamid Dbeibah : une équipe résolument moderne, où 5 femmes occupent des postes clés dont deux ministères régaliens.

Certains qualifiaient alors cette nouvelle Libye quasi réconciliée de « nouveau Suède du monde arabe ». Mais à peine 8 mois plus tard, la transition patine. Rien ne va plus dans cette classe politique où Najla Mangoush (48 ans), figure de proue et ministre des Affaires étrangères, se voit suspendue.

Assortie d’une enquête administrative, cette suspension est d’autant plus brutale qu’elle intervient six jours avant la conférence internationale prévue à Paris vendredi 12 novembre prochain. Un évènement déterminant censé préparer l’élection présidentielle libyenne du 24 décembre 2021.

Nous l’apprenions le soir du samedi 6 novembre : la ministre des Affaires étrangères libyenne, Najla Mangoush, a été suspendue de ses fonctions et soumise à une interdiction de voyager, annonce la porte-parole du Conseil présidentiel, Najla Weheba. Coup de tonnerre, car cette jeune égérie du gouvernement Dbeibah ne pourra par conséquent pas participer à la conférence internationale de Paris.

Officiellement, la présidence a ouvert une enquête « pour des violations administratives », a déclaré le même jour la porte-parole. Mangoush aurait pris des décisions de politique extérieure sans avoir consulté le Conseil présidentiel (CP). Or, la politique étrangère fait partie des attributions de ce dernier.

Une déclaration en particulier aurait provoqué le courroux du CP, le 4 novembre, lorsque Najla Mangoush a déclaré à la BBC que son gouvernement était ouvert au principe de faire extrader aux Etats-Unis des responsables des attentats de Lockerbie de 1988.

Selon un décret signé par le Conseil présidentiel repris par des médias libyens, « une commission d’enquête a été mise en place présidée par Abdallah Allafi, vice-président du CP ». Elle doit remettre son rapport d’ici deux semaines au plus tard.

 

Des similarités avec le scénario tunisien

Mais c’est sans compter la fin de non-recevoir d’Abdelhamid Dbeibah, qui a aussitôt demandé à sa ministre des Affaires étrangères d’ignorer cette décision du Conseil et de poursuivre ses activités.

Ce n’est pas la première fois en l’espace de deux mois que Dbeibah s’inscrit dans la défiance. Ainsi si son équipe est techniquement considérée comme gérant les affaires courantes depuis que la Chambre libyenne des représentants lui a retiré la confiance le 21 septembre dernier, l’homme avait dans un premier temps annoncé avoir rejeté la motion en question.

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Cette situation ubuesque n’est pas non plus sans rappeler celle de la Tunisie avant la déflagration du 25 juillet dernier, lorsque plusieurs mois durant le président de la République Kais Saïed avait incarné une force de blocage, refusant de ratifier des textes et de prendre part à la prestation de serment de ministères remaniés.

La conférence de Paris, qui devrait être suivie d’élections législatives en janvier, en sus de la présidentielle de décembre, pourrait a fortiori se pencher sur la pertinence de ces types de régimes mixtes où l’exécutif est bicéphale, des systèmes de gouvernance qui montrent leurs limites dans le contexte des démocraties balbutiantes de la région. Le cas récent de la Tunisie pourrait en effet servir d’avertissement avant-coureur de la fragilité de ces édifices transitionnels.

Au moment où Dbeibah entend se présenter à l’élection présidentielle, et où le général Haftar reprend du poil de la bête via l’appui de l’ancien régime libyen, ces scrutins sont supposés mettre fin à une décennie de conflit armé dans le pays après la chute en 2011 du régime Kadhafi. Le dépôt des candidatures pour la présidentielle s’est ouvert hier dimanche 7 novembre.

 

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Seif Soudani