Descente dans une école coranique : Amnesty intervient

 Descente dans une école coranique : Amnesty intervient

C’est une récente enquête journalistique de l’émission « Les sept vérités » qui aurait éveillé les soupçons des autorités


L’affaire met en émoi l’opinion publique tunisienne ces dernières 48 heures. On parle désormais des « enfants de Regueb » (région de Sidi Bouzid) pour désigner cette quarantaine d’enfants et adolescents évacués de leur école coranique par les autorités, sur fond de soupçons d’abus sexuels.  



L'un des parents d'élèves évacués menace les autorités de représailles


 


La question est d’autant plus délicate à gérer pour les autorités sanitaires et sécuritaires que plusieurs des enfants concernés sont âgés de moins de 13 ans. Protestant samedi à Tunis aux abords de l’Avenue 9 avril où ils ont tenté de bloquer les routes, certains parents ont accusé les autorités d’avoir transporté leurs enfants dans de mauvaises conditions.


 


Accusations d'endoctrinement et de pédophilie


De son côté, le ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Personnes âgées a fait savoir que les enfants font l’objet d’un encadrement médical, psychologique et social nécessaire dispensé par des spécialistes et des cadres pédagogiques, ainsi qu’une inspection directe par le représentant de la protection de l’enfance, et que le dossier est actuellement en cours d’instruction par le pouvoir judiciaire


Intervenant de façon étonnamment précoce pour certains observateurs, Amnesty International a appelé ce weekend les autorités tunisiennes à remettre les 42 enfants de l’école coranique transférés vers un centre d’accueil pour mineurs au sud de la capitale « immédiatement à leurs parents ».


Sur sa page Facebook, l’ONG demande aux autorités tunisiennes « au cas où de graves considérations rendent nécessaire la garde à vue des enfants, de transmettre de toute urgence le dossier au juge de la famille et de permettre aux parents de les visiter », tout en insistant sur l’importance de veiller au respect des droits de l’enfant et le principe de son intérêt supérieur ».


L’organisation s’est déclarée « profondément préoccupée par les témoignages d’enfants qui ont contacté leurs parents au téléphone à propos d’un examen anal requis dans le cadre de l’enquête sur des soupçons d’agressions sexuelles », soulignant que cette pratique « constitue une violation flagrante des obligations qui incombent à la Tunisie au regard de la convention internationale des droits de l’enfant ».


Dans le même contexte, Amnesty a relevé que depuis que les forces de l’ordre ont fait irruption dans l’établissement, les parents de ces enfants n’auraient pas encore été autorisés à les revoir.


 


Les canaux de communication maintenus avec les parents


Les autorités démentent cette version cependant, indiquant que « la plupart des enfants avaient été maintenus en contact avec leurs parents ».


Les autorités locales à Regueb, appuyées par une brigade spécialement dépêchée de la capitale, avaient procédé dès le 31 janvier à la fermeture de l’école coranique et à l’interpellation de son directeur et de plusieurs de ses élèves, avait déclaré le gouverneur de Sidi Bouzid, Anis Dhifallah. Des livres religieux et des ordinateurs ont été saisis, à l’intérieur de l’établissement. L’école en question faisait l’objet, selon le gouverneur, d’une décision de fermeture, depuis plusieurs années, pour « non-respect des modalités d’exercice de ce type d’activité », décision restée sans suites.


Quant au ministre des Affaires religieuses, Ahmed Adhoum, il affirme que le ministère n’a aucune responsabilité ni pouvoir sur les écoles coraniques, tout en précisant que celles-ci opèrent dans le cadre associatif et sont soumises au décret-loi portant organisation des associations. Adhoum a par ailleurs rappelé que seuls les “kottabs” se trouvent sous la responsabilité du ministère.


Considéré comme étant proche des milieux salafistes, l’avocat Seif Eddine Makhlouf a nommément menacé hier dimanche le procureur de la République de Sidi Bouzid tandis que certains jugent que le dossier est en passe d’être récupéré par des « considérations politiques et électoralistes ».


En 2016, la chaîne Nessma TV avait consacré un reportage élogieux à l’un des élèves de l’école coranique de Regueb, considéré alors comme le plus jeune imam du pays, âgé d’à peine 14 ans.


Chaque année, le nombre d’enfants interrompant leur scolarité en Tunisie est estimé à 100 mille élèves. Des proies faciles pour ce que d’aucuns appellent d’ores et déjà « la talibanisation » de certaines provinces reculées du pays.

Seif Soudani