Coupe du Monde: il est temps de désoccidentaliser son jugement et soutenir la modernisation du Qatar

 Coupe du Monde: il est temps de désoccidentaliser son jugement et soutenir la modernisation du Qatar

Coupe du monde de football 2018. Jewel SAMAD / AFP

Une tribune de Sébastien Boussois

Dimanche débute la première Coupe du Monde de football dans un pays arabe. Le match d’ouverture qui opposera le Qatar à l’Équateur sifflera l’ouverture de ce moment tant attendu et tant décrié depuis des mois. Le moment est avant tout historique puisque jamais un seul pays arabe, où des millions de citoyens vénèrent la discipline sportive plus que tout et leur apportent un temps joie et oxygène, n’est parvenu à en décrocher l’organisation face aux mastodontes incontournables habituels du football.

Ainsi s’ouvre la Coupe du Monde d’un Monde arabe trop souvent à la marge des évènements culturels et sportifs majeurs sur la planète. En cela, une Coupe du Monde est aussi un évènement géopolitique et l’on doit y réfléchir à deux fois.

Plus de dix ans après son attribution, le Qatar, locomotive pour un mois d’une civilisation arabe en crise, est déjà entré dans l’histoire pour organiser l’évènement le plus suivi au monde avec les Jeux Olympiques. C’est d’abord un objet identifié de fierté et un honneur pour une région qui nous a trop souvent habitué aux crises, aux déceptions, et à l’impasse. Comme les Émirats arabes unis l’ont été en accueillant ce qu’ils considéraient comme la plus grande Exposition Universelle de l’Histoire cette année également. Mais le football c’est tout autre chose pour l’imaginaire et l’inconscient collectifs.

Au-delà des polémiques, le Qatar est prêt. Et pour cela, il a fait un bond de développement inédit sur la route des standards internationaux chers à l’Europe et aux Occidentaux, car il n’a pas le choix et que c’est le sens de l’Histoire. Un moyen même si tout est loin d’être encore parfait de donner des idées à toute une région du Golfe arabo-persique qui pourrait s’ouvrir enfin vers la modernité et le XXIè siècle en profitant de ce championnat mondial. En moins de 50 ans, Doha s’est hissé au rang des micro confettis géographiques et politiques qui comptent désormais sur la scène internationale, se frottant sans complexe aux grandes puissances internationales. Médiateur de crises internationales, hôte de la plus grande base américaine hors-sol, le Qatar a fait du soft power un atout majeur de sa diplomatie publique. Un développement en grandeur accélérée en moins d’un demi-siècle pendant que certains pays ont mis des siècles à y parvenir.

Bien que les Occidentaux se soient acharnés sur son sort depuis des mois, le Qatar verra près des ¾ de l’humanité les yeux rivés sur lui le temps de la Coupe du Monde. Pourquoi ? Car non seulement l’influence paternaliste occidentale décroit dans le monde, à regretter ou souhaiter pour certains, et parce qu’une majeure partie de la population ne pense pas comme nous. Il faut dénoncer les atteintes aux droits de l’homme, les abus, mais il faut aussi poser des limites à notre regard parfois suffisant face à des pays qui prennent le temps du changement, de la réforme, de la transformation, de la révolution. La planète entière n’est pas au même niveau que nous et nous devons l’accepter pour espérer être encore respecté dans les prochaines décennies. Condamner définitivement c’est avant tout condamner notre espoir d’influencer.

Pas plus, l’exportation de la démocratie que la diplomatie « droitdelhommiste », n’ont fonctionné durablement depuis notre pré-carré européen. Que l’on condamne des pays qui s’enferment dans leurs erreurs, fuient le multilatéralisme, rejettent la présence d’organisations internationales et d’agences onusiennes, pourrait se comprendre à la limite. Mais que des pays, revenant de très loin comme le Qatar cherchent à rejoindre les critères internationaux, tout en faisant encore des erreurs, et sont jetés en pâture comme les précédents, nous paraît injustifié et contre-productif.

Une grande partie de l’humanité est encore loin de la démocratie. Certains avancent, d’autres reculent, beaucoup stagnent. Il faut le temps pour réussir une modernisation durable. Il serait regrettable non seulement de couper la tête d’un pays qui a fait beaucoup d’erreurs, mais qui cherche à rectifier le tir. Aucune mort n’est acceptable surtout lorsqu’il s’agit d’offrir au public du pain et des jeux. Mais l’Organisation Internationale du Travail est arrivée depuis 2018 pour que des drames ne se reproduisent plus. Il est à espérer que chaque pays de la région se lance dans la même constitution d’un droit du travail pour qu’il puisse donner une image progressiste et novatrice du Golfe. Reconnaissons-le : ces pays-là n’ont jamais bonne presse, mais apportons un peu de nuance et d’espoir pour ne pas les dissuader définitivement d’entamer le moindre progrès, et qu’ils rebroussent poil face à nos fourches caudines. L’humiliation et le rejet définitifs seraient le pire des signal donné à un monde arabo-musulman qui risque pendant ce mois sacré d’associer au fond qatarophobie à une forme d’arabophobie généralisée qui ne dit pas son nom.

Sébastien Boussois

 

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient  relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

La rédaction