Et si « le peuple » sauvait la gauche ?

 Et si « le peuple » sauvait la gauche ?

Crédit photo : Joël Saget / AFP


Représentant près de 50 % des voix à l’élection présidentielle, les populismes de droite (Le Pen, Asselineau, Dupont-Aignan) et de gauche (Mélenchon, Artaud, Poutou) ont marqué un peu plus l’éclatement du paysage politique. Et la France insoumise a convoqué d’autres méthodes et mouvements pour dépasser son cadre habituel d’électeurs et signer la mort de la gauche. 


Le revirement s’est opéré en 2013. C’était après que François Hollande ne “lâche” Jean-Luc Mélenchon en s’opposant au texte prévoyant l’amnistie des syndicalistes auteurs de délits lors de mouvements sociaux. La plaie ne se refermera jamais. Lui qui, tant au Parti socialiste qu’au Front de gauche, n’a jamais cessé de réclamer l’entente entre les partis de gauche, change son fusil d’épaule. Il lui faut dorénavant dépasser le ­clivage gauche-droite s’il veut emporter l’élection.


“[Son] score de 20 % des voix à l’élection présidentielle ­révèle sa capacité à engranger des votes très divers, analyse Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Institut français d’opinion publique (Ifop). Il ne partait pas de rien. Il avait fait 11,2 % en 2012 avec l’étiquette Front de gauche, mais il a su, en 2017, récupérer un quart de l’électorat socialiste (entre 5 et 6 points) et des électeurs qui ne votaient pas auparavant. Il avait d’ailleurs théorisé la formule du casse-noix du PS, un parti qui comme une noix se retrouverait pris entre les mâchoires de Macron au centre et les siennes sur sa gauche. Il a constaté la fin de l’union de gauche avant tout le monde. Il a donc accentué ses fractures préexistantes.”


 


Dépasser le simple “cas” ouvrier


En 2014, l’homme fait évoluer sa ligne politique. Les prémisses apparaissent avec son livre prémonitoire, L’Ere du peuple(1). Un choix stratégique judicieux juge Stéphane Alliès, codirecteur éditorial de la rédaction de Mediapart et auteur d’un livre sur Jean-Luc Mélenchon(2). “Alors qu’il est vu en 2014 comme un obstacle à l’union de la gauche, il décide de partir en solo, dans une relation entre lui et le peuple. Pour lui, le populisme ne casse pas la gauche, mais la remplace. C’est un renversement d’hégémonie.” Le tribun fait sienne la théorie ­développée dans les années 1980 par la philosophe belge Chantal Mouffe et son mari Ernesto Laclau, qui observent la crise de la pensée de gauche, à la fois dans sa version communiste et sociale-démocrate. Pour eux, fini le clivage droite-gauche. Dorénavant, c’est le peuple versus l’oligarchie et sa caste.


Le peuple doit être entendu dans une forme plus large que le simple “cas” ouvrier, avec des catégories aux revendications sociales, sociétales et économiques (féministes, homosexuels, immigrés, noirs, etc.). Avec ces clivages, on détermine le “nous”, ou “ceux d’en bas”, “la France des petits” et le “eux”, “ceux d’en haut”, “l’oligarchie et la caste, groupe restreint­ ­d’industriels capitalistes, politiques et responsables de médias qui détient la totalité des ressources financières et de communication”.


 


Une stratégie populiste assumée


Une théorie qui n’oublie pas la lutte des classes. ­“Mélenchon ne renie pas le cadre marxiste, souligne ­Stéphane Alliès. Il ne s’assume pas comme populiste, mais il assume une stratégie populiste. Cela lui donne un nouveau matériel stratégique et sémantique.”


Dès lors, ses discours changent. Il fait référence aux Lumières pour s’opposer au “catholicisme blanc” de ­Marine Le Pen. L’ancien professeur de lettres convoque Victor Hugo et lit des poèmes pour “esthétiser” ses idées en référence à des valeurs de gauche (solidarité, souveraineté, humanité, écologie, etc.). Les drapeaux rouges sont remplacés par des drapeaux français. Il incarne le leader d’un mouvement plus transversal que la simple gauche. Il devient le tribun du peuple !


L’une de ses réussites est d’avoir saisi très tôt la faillite des corps intermédiaires (partis, syndicats, institutions, médias, etc.). “Il a beaucoup travaillé sur le mouvement destituant, qui a provoqué la vague de victoires en Amérique du Sud, mais aussi de Podemos en Espagne, ­explique Stéphane Alliès. Ces corps intermédiaires volent en éclats à cause de leur corruption, de leur désunion et de leur côté vieillot.” Ce changement de perception provient aussi de la base de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, comme l’affirme Jérôme Fourquet : “L’électorat de Mélenchon est jeune, issu de la classe moyenne, urbain, des grandes villes et de gauche. Comme pour ­Jeremy ­Corbyn (chef de file des travaillistes britanniques, ndlr) en Grande-Bretagne ou Bernie Sanders (candidat démocrate à la dernière présidentielle, ndlr) aux Etats-Unis, ce sont des jeunes se méfiant des médias traditionnels avec un rôle déterminant des réseaux ­sociaux pour agréger les revendications.”


On comprend mieux pourquoi Mélenchon trouve que les médias traditionnels “pervertissent” la pensée originelle et a choisi de s’adresser directement au peuple que ce soit à travers ses vidéos sur YouTube (100 000 vues en moyenne) ou sur son compte Facebook, qui totalise 1 million d’abonnés. L’objectif final de la France insoumise, qui se targue d’être un mouvement et non un parti, est de créer la “révolution citoyenne”. Une révolution sans violence, agrégeant les différentes revendications pour amener à la VIe République et à un changement constitutionnel.


 


Cloisons étanches avec l’extrême droite


Toujours est-il que le mot “populisme” fait peur et est souvent associé à l’extrême droite et au poujadisme. Une erreur qu’il convient de corriger comme l’explique Jérôme Fourquet : “Contrairement à ce qui est écrit, les cloisons entre le FN et la France insoumise sont étanches, car un facteur oppose les deux électorats : le rapport à l­’immigration. D’ailleurs, un facteur ethnoculturel joue aussi dans la dynamique Mélenchon ; il a fait des scores élevés dans les cités populaires où réside une partie importante de la population d’origine de l’immigration ­arabo-musulmane notamment, réfractaires au vote FN.”


La présidentielle et les législatives ont réussi à la France insoumise, mais Stéphane Alliès explique que “pour les élections locales, il sera difficile au mouvement de se passer des alliances, ces fameuses ‘­carabistouilles’ que Jean-Luc Mélenchon exècre tant.” Le populisme de gauche dispose incontestablement des bases théoriques pour élargir son socle électoral dans les années à venir, en convainquant notamment ceux qui ne croient plus en la politique. Mais l’exercice du pouvoir pourra-t-il répondre à l’ensemble des demandes ? 


La suite du dossier :


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Macron un an de dévoiement libéral


Une gauche vidée de son sens


(1) L’Ere du peuple, de Jean-Luc Mélenchon, éd. Fayard, 128 p., 3 €.


(2) Mélenchon, à la conquête du peuple, de Lilian Alemagna et Stéphane Alliès, éd. Robert Laffont, 432 p. 21 €.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.