Héritier Luwawa Nzinga, bâtisseur d’affaires

 Héritier Luwawa Nzinga, bâtisseur d’affaires

crédit photo : Archives personnelles Héritier Luwawa Nzinga


Arrivé en France à 8 ans pour fuir la guerre en Angola, cet homme d’affaires de 35 ans, qui ne parlait pas un mot de français, est devenu directeur commercial d’une grande entreprise, et à la tête d’une holding qui a généré des millions. Aujourd’hui, il veut être le leader de la construction immobilière pour la diaspora africaine. 


Avec un parcours intuitif et atypique, sous un ciel ­criblé de bonnes étoiles, Héritier Luwawa Nzinga s’est forgé un audacieux sens des affaires. Son modèle : ­Xavier Niel. Selon lui, le fondateur de Free marie à la perfection pragmatisme, talent et argent décomplexé. “Il suffit de regarder Zidane sur le terrain pour comprendre qu’avec un temps d’avance, on marque toujours des points”, souligne-t-il pour esquisser sa tactique. La métaphore footballistique est parlante, d’autant qu’il n’a eu de cesse d’avancer à folle allure pour parvenir à son but : devenir un grand entrepreneur. Cet Angolais à la trentaine-trendy était pourtant loin d’imaginer la trajectoire de son destin.


 


Vendeur, livreur de pizzas…


Issu d’une classe aisée en Angola – son père était ­directeur d’une mine de diamants et sa mère commerçante dans l’import-export – Héritier Luwawa Nzinga arrive en France à 8 ans, fin 1990, pour fuir la guerre civile. “L’argent ne protège pas de tout”, insiste-t-il en se souvenant d’images de maisons décimées par le feu. Pour le protéger, sa mère le confie à une cousine vivant en France. Happé par les événements, il suit le chemin qu’il doit désormais tracer seul, loin de son pays. A l’époque, il ne parle pas un mot de français et pourtant, après une classe d’adaptation, il intègre le système scolaire. Il devient même un très bon élève. Il se souvient d’une intégration heureuse à Nantes, puis chez un oncle dans la Cité des 4000 à la Courneuve. De son éducation angolaise, il conserve le goût de l’effort, la ­rigueur, le travail et le respect, des valeurs qui le guideront pas à pas vers son ascension.


Sa rencontre avec celui qui deviendra son meilleur ami – un fils de riches ashkénazes – sera déterminante et donnera un nouvel élan à sa trajectoire inattendue : le jeune homme sera recueilli par cette famille de ­médecins et grandira avec son ami durant une douzaine d’années. Malgré cet entourage d’intellectuels, il ne brigue pas les hautes études et décide d’entrer dans la vie active à 18 ans. Il sera tour à tour vendeur dans un magasin de bricolage, puis dans une boutique duty-free d’un aéroport, ­livreur de pizza… Il comprend bientôt que s’il veut des responsabilités et “être meneur d’hommes”, comme il dit, il doit se former.


Il postule alors à un stage pour devenir commercial dans une entreprise de ménage à domicile : il en ressort le jour même avec un CDI de télémarketeur. Une expérience significative qui lui permet en cinq ans de passer de manager à directeur commercial dans une entreprise florissante, qui réalise 6 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte près de 1 000 salariés.


Seulement, l’Angolais rêve de créer sa propre entreprise. Son patron, qui est également son mentor, l’aidera à créer Be Eco Services, une société de ménage à ­domicile, à laquelle le jeune homme ajoute une “green touch” en proposant des produits écologiques. Une ­valeur ajoutée remarquée. Par le biais de l’Association pour le droit à l’initiative économique, il suit une formation, Créajeunes, et en ressort avec son business plan. Il a besoin de 61 000 euros pour monter son business. Une fois encore une bonne étoile éclaire son chemin. Héritier Luwawa Nzinga ne peut rêver meilleure de carte de visite que celle de Jean-Luc Decornoy, alors vice-président de KPMG Europe, le leader international en audit et conseil qui brasse des millions de chiffres d’affaires. Séduit par le projet, ce dernier investit 10 000 euros dans Be Eco Services.


 


A l’école des affaires


Au démarrage, en 2010, l’entreprise réalise 100 000 euros de chiffre d’affaires, puis 300 000 euros la troisième. Le temps est venu de penser à se développer. Mais, nouveau coup du destin : le jeune entrepreneur reçoit l’appel d’un fonds d’investissement qui cherche un dirigeant pour redresser une société toulousaine du même secteur dix fois plus importante que Be Eco Services. Héritier Luwawa Nzinga accepte et se ­retrouve à la tête d’une entreprise de 600 personnes générant plus de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont il est ­actionnaire à 15 %. Un désaccord avec les ­investisseurs le pousse à ­quitter l’aventure prématurément. “Cela fait partie de l’apprentissage du monde des ­affaires, c’est celui qui met le plus d’argent qui décide, c’est le jeu ”, explique-t-il, fair-play. Après une courte traversée du désert, lui qui a souvent incarné “la réussite issue de la diversité” dans les médias prend conscience qu’il a peut-être brûlé les étapes. Il a le sentiment d’avoir atteint un plafond de verre. Il faut penser au coup d’après.


 


Allier sens et profit


Fin 2016, lors d’un séjour en Angola, où il n’était ­jamais retourné depuis son exil vingt-quatre ans plus tôt, il mûrit un nouveau un projet : créer une entreprise de construction de maisons pour permettre à la diaspora africaine en France d’accéder à la propriété dans son pays d’origine ; une niche prometteuse. Il monte le business plan de Property’s, qui voit le jour en 2017. ­Accompagné d’un associé, il crée l’entreprise avec 89 000 euros de capital et active son réseau d’architectes, designers et constructeurs. Son objectif : proposer des habitations en kit et en acier pour un coût à la livraison de 220 000 euros pour 200 mètres carrés. “C’est 30 % moins cher qu’une maison classique et les délais de construction sont divisés par trois”, argumente Héritier Luwawa Nzinga. Dans un premier temps, Property’s proposera d’investir en Afrique subsaharienne (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Cameroun), mais entend, à terme, s’étendre au Maghreb.


La feuille de route 2019 prévoit la construction d’une dizaine de maisons et vise le million d’euros de chiffre d’affaires. Son créateur préfère prendre tous les risques plutôt que d’aller chercher de “l’argent pour l’argent” auprès des investisseurs. Pour financer son entreprise, il mise, entre autres, sur le crowdfounding immobilier, qui démarrera au deuxième semestre 2019. En attendant, en fin stratège, il vient d’acquérir une agence de courtage.


A 35 ans, Héritier Luwawa Nzinga concède volontiers que ses motivations ont changé : “Je fais partie de cette génération d’entrepreneurs qui a besoin de donner du sens au travail : on peut générer du profit tout en étant utile humainement. J’ai besoin d’autres objectifs. L’argent, c’est une récompense”, dit-il, avec la modestie de celui qui espère devenir le leader de la construction pour la diaspora africaine. Pour cela, il peut suivre sa bonne étoile. Celle de la réussite. 

Alexandra Martin