Printemps Arabe, saison 2 ?

 Printemps Arabe, saison 2 ?

En janvier 2011


Après l’espoir, le doute. Et si le Printemps arabe n’étaient pas né spontanément ? Juste le fruit de manipulations occidentales en lien avec des intérêts économiques ou géopolitiques. Et des braises encore chaudes pourraient rallumer le feu de la contestation. 


Dresser le bilan du Printemps arabe ? Il faudrait peut-être poser la question à ceux qui “sont aujourd’hui lassés de tout, même de l’espérance”, pour reprendre les vers de Lamartine. Ces millions de personnes qui ont vu dans les mouvements de 2011 une possibilité d’émancipation ; ces millions de Syriens livrés à la guerre civile et au chaos politique qui profitent surtout à des organisations comme l’Etat islamique ; ces Egyptiens qui payent le prix d’une répression brutale ; ces Yéménites téléportés à la Préhistoire.


Si tout s’est emballé, rien n’a profondément changé. Cinq ans après, les données de l’équation demeurent : les véritables vainqueurs du Printemps arabe, ce sont les kamikazes de Daech, les milices islamistes de Libye qui peuvent remercier Sarkozy et BHL, les mafias de passeurs qui laissent les migrants se noyer en Méditerranée. Bref, tous ces vampires qui se nourrissent du chaos.


Si certains pays, comme la Tunisie ou le Maroc, semblent faire exception, c’est que les Tunisiens ont résisté en prônant un régime pluraliste et démocratique qui a pu s’établir dans le pays, et ce malgré la réalité amère des inégalités sociales. Malgré quelques résistances, la Tunisie est en phase de consolidation démocratique. Quant aux monarchies qui possèdent une réelle légitimité – au sens de la légitimité traditionnelle de Max Weber –, celle qui manque cruellement aux régimes présidentiels, elles ont effectivement mieux résisté au tsunami. Et des Etats comme le Maroc ont même mis à profit la contestation pour apporter des changements radicaux dans leur Constitution.


 


Document secret


Mais rares sont les analystes qui expliquent que l’effet domino du processus révolutionnaire sur l’ensemble des pays arabes n’a rien de spontané. Aujourd’hui, il est clairement établi que ce sont les capitales occidentales, Washington en tête, qui ont programmé les Printemps arabes. En 2014, un document secret, rendu public par un think tank américain, révélait que le Printemps arabe est bel et bien une reconfiguration savamment orchestrée par l’administration états-unienne. L’organisation Middle East Briefing (MEB), qui se base sur un rapport officiel du département d’Etat américain, donnait la preuve de l’implication de la Maison-Blanche dans les “révolutions” qui ont ébranlé de nombreux pays dans le monde arabe. A première vue, le programme de l’Initiative de partenariat entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient (Mepi) paraît inoffensif puisqu’il s’agit selon ses concepteurs d’offrir “de l’aide, de la formation et du soutien aux groupes et aux individus qui s’efforcent de créer des changements positifs dans la société, en partenariat avec des organisations de la société civile (OSC), des leaders communautaires, des jeunes et des militantes et des groupes du secteur privé pour faire progresser leurs efforts pour améliorer leurs communautés”. Mais le document confidentiel en question, qui date du 22 octobre 2010 et s’intitule “Middle East Partnership Initiative : Overview”, dévoile que les stratèges de l’Oncle Sam ont chargé ses officines de mettre en place des scénarios pour défaire les régimes dans les pays ciblés en utilisant les membres de “la société civile” qui bénéficie de la générosité du département d’Etat. La trame consiste en une manipulation savamment dosée de ces ONG pour “catalyser le changement dans la région”.


Cette subversion, largement financée par les ambassades américaines par le biais d’agents désignés, vise les ONG et les groupes composant la société civile, sans oublier les journalistes et autres bloggeurs, censés relayer les combats de la rue, voire même à fabriquer de fausses vidéos pour pousser à la révolte. C’est un peu l’histoire de Che Guevara, Patrice Lumumba ou Thomas Sankara, revue et corrigée dans les studios de la CIA. En Europe, on tolère bien les mouvements altermondialistes, les soirées à thèmes des Nuit Debout à Paris, les Indignés, Occupy Wall Street à New York … Des mouvements soi-disant spontanés qui amusent la galerie, ne débouchent sur aucun projet politique, mais alimentent le laboratoire des confrontations. Alors le scénario choisi pour les pays arabes se doit d’être le plus sombre possible.


Bien entendu, comme dit le proverbe arabe, “les vents ne soufflent pas toujours en conformité avec les désirs des navires”, les Printemps arabes n’ont pas toujours eu l’effet escompté. En Egypte, par exemple, l’administration américaine, qui misait sur le mouvement des Frères musulmans, jugé compatible avec la politique étrangère du gouvernement américain, a fini par cautionner leur mise au ban, alors que l’Algérie a été épargnée pour des logiques liées au pétrole. Le Maroc, lui, a échappé à la curée pour deux raisons. La première, c’est que les jeunes du 20 février, beaucoup trop imprégnés par les valeurs occidentales, n’ont pas réussi à fédérer grand monde autour d’eux. Ensuite, la réactivité du monarque, qui répondait immédiatement aux revendications majeures par des décisions inédites, a permis au pays de traverser la zone de turbulences sans dégâts.


 


Théorie du chaos organisateur


Aujourd’hui, le second épisode de la théorie du chaos organisateur, “ordo ab chaos” (l’ordre à partir du désordre), risque d’être beaucoup plus sanglant que la première partie du feuilleton. C’est le cas de l’alliance de l’Arabie saoudite et d’Israël, programmée pour protéger l’Etat hébreu et mettre le feu à l’axe Téhéran-Damas. Une guerre fratricide entre chiites et sunnites qui sera certainement beaucoup plus meurtrière que les escarmouches entre les quelques soldats de la nébuleuse radicale et les officiers de Bachar Al Assad. Ce n’est pas pour rien que Donald Trump a consacré sa première sortie à l’étranger à l’Arabie saoudite et qu’une ambassade saoudienne est en projet en Israël. Quant au Maghreb, personne ne sait quel scénario a été concocté pour l’après-Bouteflika en Algérie et au Maroc. La question qui donne des cheveux blancs aux sécuritaires, c’est de savoir qui tire vraiment les ficelles de la contestation dans la région du Rif. Surtout quand des manifestants révoltés par la mort injuste d’un vendeur de poissons brandissent des drapeaux et scandent des slogans d’indépendance. Des événements qui inquiètent sérieusement la classe politique et qui ont poussé le ministre de l’Intérieur a provoqué en urgence une réunion avec les partis de la la majorité. De son côté, le parti de l’Istiqlal a demandé la mise en place d’une commission pour faire toute la lumière sur ces manifestations à répétition.


“Le peuple est intelligent”, clamaient les révolutionnaires de Tunis en 2011, repris en chœur par les Egyptiens de la place Tahrir cinq ans après, persuadés que se trame en coulisses un autre épisode, encore plus sanglant que la première version du Printemps arabe, ces jeunes déboussolés n’espèrent plus qu’une seule chose : retrouver la foi en des lendemains meilleurs.

Abdelatif Elazizi