Éducation. De « chaque enfant qu’on enseigne » dépend un pays

 Éducation. De « chaque enfant qu’on enseigne » dépend un pays

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne, ne sont jamais allés à l’école une fois ». Ce sont les premières phrases d’un poème de Victor Hugo tiré du recueil Les Quatre Vents de l’esprit (1881), véritable ode à l’éducation, une éducation préventive, curative, libératrice, nécessaire. Car finalement, de l’instruction dépend le développement d’un homme, le développement d’un pays. 

« C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime. L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. Où rampe la raison, l’honnêteté périt ». 

« La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat »

Pour Fukuyama, chercheur en politique, les pays qui alphabétisent leurs populations vont vers une démocratie libérale (en suivant une approche minimaliste), et l’écrivain Arthur Doyle de souligner que les démocraties libérales ne peuvent se faire la guerre. Car des citoyens instruits votent pour des gens pacifiques qui auront recours aux canaux diplomatiques au lieu des armes en cas de conflit. Si ces conclusions peuvent être contredites par des conjonctures factuelles, sur le long terme, notamment en Europe, ceci se vérifie. 

« Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut planer là-haut où l’âme en liberté se meut. L’école est sanctuaire autant que la chapelle ». Au-delà de la démocratie, un enseignement de bonne qualité contribue au développement économique des pays, et entraîne des répercussions positives à tous les niveaux : social, civique, économique, juridique… Un citoyen bien formé demandera plus de justice, de démocratie, aspirera à un pouvoir d’achat… En somme, rendra la société meilleure, d’où la course pour un certain nombre de pays à travers le monde, vers les meilleurs systèmes d’éducation, car « l’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle, contient sous chaque lettre une vertu, le cœur s’éclaire doucement à cette humble lueur ».

« Les ailes des esprits dans les pages des livres »

D’après le classement PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis), et dont la participation de 72 pays fait référence, en 2016, trois domaines d’évaluation ont été retenus pour des enfants de 15 ans : les mathématiques, les sciences et la compréhension écrite. Cette enquête a révélé les systèmes les plus performants au monde, et certains pays absents des radars il n’y a pas si longtemps, sont aujourd’hui, parmi les leaders en terme de système d’apprentissage. « Allumons les esprits, c’est notre loi première. Et du suif le plus vil faisons une lumière ». 

Ainsi, si l’on retrouve sans surprise le Canada, le Japon, la Finlande, les pays du Sud-Est asiatique y figurent comme les dragons : la Corée du Sud, Singapour, Vietnam, Chine… Et en Europe du Nord, l’Estonie. Y aurait-il un secret pour ces performances exceptionnelles ? Si chacun des pays a misé sur des éléments spécifiques liés à la culture, aux us… l’élément commun reste la discipline et la valorisation de l’enseignant par des formations pointues, ainsi qu’un niveau de rémunération conséquent. Ils l’ont compris : « l’école en or change le cuivre ».

Pour les spécificités, si certains font comme au Japon participer les très jeunes aux tâches ménagères de l’école afin de développer l’autonomie et le sens des responsabilités, les apprentissages sont personnalisés en fonction de la diversité des étudiants. En Estonie, où règne le tout numérique, une refonte des programmes scolaires a été réalisée, avec le tout gratuit, même concernant les repas et activités parascolaires, gérés par les municipalités. L’enseignant garde ses élèves trois ans, pour un meilleur suivi. 

« Aveugles effrayants, qui marchent à tâtons dans le monde moral »

Pour les pays classés dans les pires systèmes d’éducation, on retrouve en majorité et sans grand étonnement, les pays africains, avec à leur tête : l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, mais aussi… le Maroc. Alors qu’on sait que « l’ignorance en plomb transforme l’or ».

Parmi les éléments qui influent sur ce mauvais score, il s’agit bien entendu des budgets alloués à ce secteur. Sans richesse naturelle, un pays sans ressources, ne peut développer efficacement son système d’enseignement. Et sans population formée, il est difficile d’accéder au développement. « Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère, de se tourner vers vous, à qui le jour sourit, et de vous demander compte de leur esprit. Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute. Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ».

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Si le Maroc alloue plus d’un tiers de son budget à l’éducation, il n’y a pas de succès de performance. Car bien qu’insuffisant, les failles du système scolaire marocain sont à trouver ailleurs que dans le budget : 

  • Une population en âge d’être scolarisée qui a explosé, et dont le nombre total (écoliers, élèves et étudiants) s’élève à près de 10 millions. Le Maroc a fait un pas de géant pour scolariser l’ensemble de la population, et ce, gratuitement, phénomène salué par les instances internationales. Mais le quantitatif l’a cependant emporté sur le qualitatif, les classes sont surchargées, les enseignants insuffisamment formés et rémunérés, les contenus pédagogiques désuets…
  • En 1975, l’enseignement qui était bilingue (français/arabe), a entièrement été arabisé jusqu’au baccalauréat. Mais les facultés continuent à enseigner majoritairement en français…
  • L’existence d’une langue parlée (le dialecte), à côté d’une langue enseignée : l’arabe classique. 
  • À côté d’un système scolaire public co-existe un système privé ou semi-privé, dont les missions étrangères. Au fil du temps, classes aisées et moyennes ont déserté les bancs publics pour ces dernières, laissant les démunis entre eux, encadrés par un corps enseignant aussi démuni. Livrée à elle-même, la classe sociale la plus vulnérable n’a plus le contrepoids qu’aurait pu jouer une mixité sociale par la présence notamment de parents d’élèves avisés. 

« Ces voleurs possédaient un trésor, leur pensée immortelle, auguste et nécessaire »

Le système public d’éducation marocain laisse clairement à désirer. D’un autre côté, parce que « faute d’enseignement, on jette dans l’état des hommes animaux, têtes inachevées », des initiatives privées ou semi-publiques, ont permis à des profils brillants d’accéder à des écoles prestigieuses. Le groupe OCP, par exemple, a développé une branche dédiée aux élèves les plus brillants du Maroc pour leur permettre d’effectuer leur prépa en son sein. L’année dernière, pas moins de 20 étudiants issus du système public ont pu être admis à la prestigieuse école Polytechnique Paris par ce biais.

D’autre part, l’OCP a créé une école à Benguerir (1337), pour accueillir des étudiants de tout niveaux, afin de former les meilleurs talents au métier du digital et des technologies de l’information. Cette formation est gratuite et est dispensée sur 3 ans. 

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Academia, une association regroupant les grandes institutions du pays, alloue des bourses aux plus méritants qui suivent des cursus universitaires remarquables. La fondation Attijariwafa Bank, organise des semaines intensives au profit des étudiants en prépa, pour les aider à mieux réussir leurs concours d’accès aux grandes écoles d’ingénieur ou commerciales, marocaines et françaises. 

La réussite de telles expériences démontre que lorsqu’on adopte une stratégie de formation bien pensée, qu’on met en place les moyens adéquats pour l’exécuter, avec une bonne gouvernance, les résultats sont au rendez-vous. « Au petit enfant donnez le petit livre. Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre ».

« Ne savent pas lire, et signent d’une croix »

Toutes les populations du monde naissent avec le même potentiel intellectuel. Certains pays adoptent les politiques d’enseignement les plus pertinentes pour développer ce potentiel et disposer d’un capital humain de qualité, alors d’autres échouent dans leur politique et tombent dans le sous-développement. « L’intelligence veut être ouverte ici-bas. Le germe a droit d’éclore, et qui ne pense pas, ne vit pas ». 

Si le Maroc souhaite accéder à l’émergence, des solutions nouvelles doivent être exploitées, dont notamment la formation en ligne testée avec succès dans certains pays comme le Sénégal (avec Orange). Il y va de l’avenir de tout le pays. Le Maroc, qui nous a habitué à être surpris par sa capacité à relever des défis hautement sensibles, devrait s’atteler à relever celui de la révolution de son système d’éducation public, désuet, qui ne le représente plus. 

« Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés. Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute. Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ? Ils sont les malheureux et non les ennemis. Le premier crime fut sur eux-mêmes commis. On a de la pensée éteint en eux la flamme. Et la société leur a volé leur âme ».

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Malika El Kettani