Chibanis : sortir de l’invisibilité sociale

 Chibanis : sortir de l’invisibilité sociale

CHIBANIS LA QUESTION


 


Des Chibanis sur les bancs de l'Assemblée nationale. Ce tour de force est l’œuvre de deux associations, Les Sans Voix et Entreprendre au Maghreb, ayant organisé une conférence intitulée « Nos chibanis bâtisseurs d'hier, sont-ils les oubliés de la République ? » (29 mars). 


 


Un timing et un lieu loin d'être anodins puisque dans quelques semaines seront présentées les avancées de la Mission d'information parlementaire entamée en 2013. L'occasion de faire un premier bilan.


 


Invisibilité


« Il faut les sortir de l'invisibilité sociale, les sortir de l'invisibilité aux yeux de la République » explique Alexis Bachelay (PS), rapporteur de la Mission d'information parlementaire "Les immigrés âgés". 800 000 immigrés âgés de plus de 55 ans, 350 000 âgés de plus de 65 ans, les dénombrer, mettre des visages sur les mots, personnifier les Chibanis et leur redonner une place comme le clame Nadia Bey, journaliste et présidente de l'association les Sans voix : « Il faut inscrire ces Chibanis dans le récit national. (…) Ce n'est pas un réservoir de voix mais des gens qui sont en train de disparaître et dans 20 ans, ils ne seront plus là. Certains sont déjà partis avant de voir la concrétisation de ces 82 préconisations ».


 


Vieillesse digne


A la base de la mission "Les immigrés âgés", 82 préconisations couvrant les droits sociaux, la santé et le logement afin d'avoir droit à une vieillesse digne comme toutes personnes âgées résidant en France. « Comment expliquer que lorsque les Chibanis quittent la France six mois et un jour, ils perdent leurs droits sociaux ?! » s'insurge Samira Labidi, présidente de l'association Entreprendre au Maghreb. Il existe bien une vraie différence de traitement entre retraités immigrés et les retraités français, un fait « dramatique dans un pays comme la France » et une véritable « inégalité de droits » comme le rappelle Salem Fkire, président de CAP SUD MRE.


 


Déceptions


Naïma Charaï, ancienne directrice de l'ACSE et conseillère régionale d'Aquitaine, pose la question de savoir quelles avancées ont été faites depuis les promesses qui ont été prononcées après la sortie de film Indigènes de Rachid Bouchareb (2006). Le président Chirac avait promis la décristallisation des pensions, pourtant les pensions militaires restent désespérément gelées depuis les années 50. Quelles sont les réalités d'aujourd'hui ? Abdallah Moubine, membre de l'Association des Travailleurs Maghrébins de France est très remonté : « J'ai entendu dire que les Chibanis allaient toucher l'ASPA [Allocation de solidarité aux personnes âgées, ndlr] mais c'est pas vrai. Ceux qui touchent l'ASPA touchent plus de 800 euros, les Chibanis vont toucher 550 euros pas plus. La nationalité ? Moi je n'ai pas la nationalité française (…) J'ai pourtant passé les trois quarts de ma vie ici en France, je n'ai passé que 18 ans au Maroc. Le logement ? Adoma est en train de démolir un foyer. Les gens payaient entre 50 et 150 euros de loyer, parce qu'ils avaient les APL. Maintenant, nous avons visité le nouveau foyer, ça va être 400 euros. Mais qu'est-ce qu'il va nous rester… ».


 


Super-Héros


Alexis Bachelay a beau annoncer une nouvelle mission ayant pour objectif d'évaluer tout ce qui a été réalisé suite à la première mission de trois ans. Effectivement, il compte travailler pour améliorer l'aide au retour, les conditions de naturalisation, les foyers Adoma, les titres de séjour. Mais combien de promesses ont été vaines et notamment concernant le droit de vote des étrangers. Tous ces débats, toutes ces discussions se sont déroulées sous les regards dignes des Chibanis immortalisés parle photographe Luc Jennepin dont une partie de l'exposition « Chibanis, la question » ornait les murs de la salle. Il y a exactement un an, ce dernier exposait dans la rue, face à l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, contacté par Nadia Bey, ses clichés sont à l'intérieur : « Nous sommes là parce que nous trouvons ça important ». Alors qu'une partie de l'exposition était à Paris, un vernissage de cette même exposition avait lieu à mille kilomètre de là, à Lunel. La suite, c'est Luc Jennepin qui la raconte : « Une gamine de CM2, quand elle a entendu l'histoire de ces chibanis, nous a dit « mais ce sont des super-héros » ». Il serait normal que la République française leur donne au moins autant qu'elle a reçu de ces Chibanis.


 


F. Duhamel


 

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