France-Maroc : La fuite des cerveaux, encore

 France-Maroc : La fuite des cerveaux, encore

L’équipe multinationale de l’IHU de Marseille illustre bien l’apport des scientifiques étrangers à la recherche française.

Largement commentée par la presse marocaine, l’info n’a pas eu droit à un simple filet dans les médias français : 29 médecins marocains devenus français en attendant que « d’autres praticiens et spécialistes de la recherche soient bientôt naturalisés français après étude de leur dossier ».

Normal dirait-on, au vu du rôle indispensable joué par les professionnels étrangers en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Bonne nouvelle en deçà des Pyrénées, mauvaise nouvelle au-delà. Parce que tout d’abord ces médecins qui ont troqué leur blouse nationale usée contre un bel uniforme immaculé, représentent une perte sèche pour un système hospitalier marocain à l’agonie. Ceux qui osent encore interroger cette vulgate n’ont qu’à bien se tenir parce que cette image idyllique d’un pays qui accueille à bras ouverts des « étrangers » dans la longue tradition d’hospitalité de la France bat de l’aile dès qu’on triture un peu ces chiffres qui démontrent que l’attestation d’équivalence qui reste le fameux sésame ouvre-toi pour travailler dans des conditions dignes et avec les mêmes salaires que les Français de souche est quasiment impossibles à obtenir. Il est difficile d’imaginer que dans un pays comme la France, les praticiens étrangers subissent un traitement discriminatoire. Les médecins marocains n’échappent pas à une législation particulière qui interdit à ces derniers d’exercer dans certains secteurs réservés aux Français de souche et aux ressortissants des pays de l’UE, mais de plus, tout médecin étranger postulant à un emploi en milieu hospitalier doit se soumettre à une série de procédures d’équivalence selon une réglementation extrêmement rigide.

Résultat, les 3 600 médecins marocains (chiffres de l’Ordre des médecins français) qui travaillent en France comme les autres médecins étrangers triment pour des salaires inférieurs à la rémunération de leurs collègues français et souvent dans des postes dont ne veulent pas les autochtones.

Bien sûr, on peut toujours en vouloir « à ces cerveaux qui ne pensent qu’à se remplir les poches et qui n’ont pas une once de patriotisme dans le cœur », mais on peut aussi considérer comme le faisait Adam Smith que « ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. » Dans La Richesse des nations le père de la science économique, non seulement ne voyait pas d’inconvénient à ces désirs d’enrichissement de quelques-uns qui étaient favorables à tous et pensait au contraire qu’il s’agissait là d’un principe bienfaisant puisque nous lui devons notre subsistance.

Sauf que la balle n’est pas uniquement dans le pays de départ, elle est aussi dans le camp d’en face. Ici, on ne peut qu’espérer que le népotisme qui prévaut dans le pays soit remplacé par un nouveau système basé sur le mérite, le Maroc doit aussi retenir les jeunes talents avec le développement de mégas projets centrés (par exemple) sur l’intelligence artificielle. L’ascension sociale qui faisait qu’un Basri, venu de nulle part devenait le puissant vizir du roi, qu’un Othman Benjelloun, désargenté se retrouvait au faîte de la finance nationale, qu’un simple ingénieur comme Meziane Belfequih, profitant de l’environnement politique allait devenir le cerveau des grands projets d’infrastructures du pays, doit être impérativement rétablie. Quitte à s’attaquer à cette mafia qui squatte les meilleurs postes en attendant le retour de leurs rejetons biberonnés aux diplômes étrangers parce que tout simplement, nos jeunes devraient réapprendre à rêver. Quant au privé, il lui manque de mettre à disposition de ses cadres des missions plus qualifiées, des rémunérations plus intéressantes, un meilleur management. Il n’y a pas que l’argent qui fait fuir nos cerveaux, mais en ce qui concerne la qualité de vie, la liberté d’expression, ou la liberté tout court, l’accès à un meilleur service public en matière de santé et d’éducation ou encore l’impossibilité d’échapper à la corruption endémique, il faudra repasser.

De l’autre côté, en Europe, et plus encore en France, il faudrait peut-être prendre Emmanuel Macron au mot quand il affirme que « pour recréer de la confiance, je crois au contraire qu’il faut une action qui ait véritablement une efficacité́, un effet des mots aux choses ».

Et pourquoi pas dans ce sens, proposer (à défaut d’imposer) aux Occidentaux de passer à la caisse pour chaque génie marocain intégré. Une manière comme une autre de contribuer à régler la grosse facture que l’État marocain a payée pour offrir aux entreprises françaises ces cerveaux « clés en main ».

Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, en France derrière tout débat politique se cache la question de la fuite des cerveaux qui avance elle-même cachée derrière la question de l’immigration. Et le débat initié ici pourrait bien servir de prolégomènes à ceux qui voudront aborder sans parti pris cette redoutable question.

Quant aux intéressés, mis à part la pandémie qui redouble d’intensité, la crise endémique, les affaires qui périclitent, il ne faut pas trop leur en vouloir de choisir entre la peste de l’exil en Europe et le choléra du chômage dans leur pays.

Abdelatif Elazizi