Lecture. « Femmes d’Etat. De Cléopâtre à Angela Merkel »

 Lecture. « Femmes d’Etat. De Cléopâtre à Angela Merkel »

« Femmes d’Etat. De Cléopâtre à Angela Merkel », un livre qui trace le portrait politique et personnel d’une vingtaine de femmes au pouvoir, qui ont laissé des traces dans l’histoire et marqué leur époque. 

 

Partout, dans l’espace et dans le temps, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne, les femmes ont été exclues du pouvoir politique, écartées du trône, même dans les Républiques ou après des révolutions universelles. Un exercice réservé à la virilité masculine, à la loi des hommes, aux préjugés anti-féminins. Pourtant, depuis l’Antiquité, des dirigeantes d’exception, reines, impératrices, cheffes de gouvernement ou présidentes, se sont distinguées, changeant parfois les destinées de leurs pays. Dans ce livre collectif Femmes d’Etat, de Cléopâtre à Angela Merkel, de 435 pages, publié en 2022 (édition Perrin) sous la direction  d’Anne Fulda, historiens et journalistes, sans entrer au fond des choses et sans théoriser, tentent de retracer la vie de ces dirigeantes (au nombre de 20) en dressant leurs portraits politiques et intimes. Un livre novateur dans son genre, qui tente de rectifier les idées reçues en la matière et d’écarter les clichés machistes.

 

De Cléopâtre à Catherine, de Médicis à Elizabeth II, en passant par Marie-Thérèse d’Autriche jusqu’aux dirigeantes plus contemporaines comme Indira Ghandi, Golda Meir, Margaret Thatcher, Aung San Suu Kyi ou Angela Merkel, ces femmes ont su diriger leur pays, royaume ou empire de manière honorable. Mieux encore, et comme le remarque Anne Fulda dans sa préface, « une fois au sommet, elles ont pris goût, elles aussi, à l’art et la manière de diriger » (p.9). Il est regrettable qu’aujourd’hui encore, en dépit de l’évolution des mœurs dans les sociétés modernes, malgré les révolutions et les conquêtes attachées à la condition féminine, de mai 68 à MeeToo, l’exercice du pouvoir reste dans de nombreux pays l’apanage de la virilité et de la puissance masculine, « la force physique valant brevet de la supériorité intellectuelle » (p.10).

 

Pendant longtemps, la femme était considérée comme un handicap majeur. Selon le précepte Tota mulier in utero (« Une femme est tout entière dans son utérus »), l’épouse du souverain était censée jouer un seul rôle : mettre au monde des enfants, de préférence des « mâles ». Pourtant, Marie-Thérèse d’Autriche a su conjuguer, comme le rapporte Jean-Paul Bled, ses rôles d’épouse et de mère de seize enfants tout en régnant virilement sur le plus grand empire d’Europe pendant quarante ans, en faisant bouger les lignes (p.179 et ss.). Mais les clichés ont la dent dure. Les femmes, lorsqu’elles ne sont pas décrites comme des manipulatrices, sont manipulables, gouvernant sous l’emprise d’un homme, comme Anne d’Autriche (p.137 et ss.) ou Edith Cresson, la première ministre de Mitterrand. Elles sont alors des gaspilleuses d’argent, frivoles, naïves, portées vers le luxe, griefs souvent répétés. A l’exception de Cléopâtre, de Catherine de Médicis, d’Elizabeth Ier ou plus récemment de Margaret Thatcher ou d’Angela Merkel, exceptions qui confirment la règle, même si dans ces cas de figure, on ne manque pas d’attaquer ces femmes d’Etat sur leur apparence physique.

 

Dans ces différents portraits, les profils et les tempéraments sont multiples, variés et contraires. On passe des femmes aimantes aux femmes cruelles, des souveraines autoritaires ou belliqueuses et rigides aux dirigeantes souples, pragmatiques et conciliatrices, mais toutes des femmes ambitieuses. Comme les hommes, les femmes gouvernent en faisant tantôt la guerre, tantôt la paix. Elles ne sont pas exemptes de machiavélisme, loin s’en faut. Pour peu qu’elles soient intelligentes, instruites ou nées et éduquées dans les interstices du pouvoir, l’art politique n’est pas un secret pour elles.

 

On le voit dès le départ. Cléopâtre VII qui a régné en Égypte de 51 à 30 av. J.-C., est devenue « un mythe et une légende », à en croire Robert Solé (p.15 et ss.). Avant elle, Cléopâtre Ire n’a été qu’une régente. Cette séductrice a provoqué d’innombrables écrits, commentaires, insultes. A la fois grecque et égyptienne et dernière souveraine d’une dynastie menacée, elle a joué un rôle majeur dans un bassin méditerranéen agité. Sa vie n’a pas été sereine, elle a connu des alliances, assassinats, liaisons amoureuses et trahisons. A 18 ans, elle hérite d’un empire ptolémaïque en ébullition sur lequel Rome exerce un protectorat de fait. Plus tard, elle séduit César et Antoine, les deux Romains les plus puissants de l’époque. Après son suicide, l’Egypte cesse d’être grecque pour devenir romaine. L’astucieuse Catherine de Médicis (1519-1589), cette disciple de Machiavel, est qualifiée de « perfide et malfaisante », car « elle fait mettre à mort ses adversaires et pousse à la tyrannie », nous dit Jean-François Solnon (p.99 et ss.). Elle a même la flamme du pouvoir. Elle a été détestée à la fois par les catholiques et par les protestants. Elle est une femme, donc coupable. Comme ses ancêtres Médicis, elle est la « Florentine », l’« empoisonneuse », la « criminelle ». On la juge responsable de l’assassinat du chef des huguenots et commanditaire des massacres de la Saint-Barthélemy en 1572.

 

« Terre d’élection des femmes au pouvoir » (Sophie Brouquet, p. 119 et ss.), l’Angleterre a vu l’incarnation de la royauté à travers plusieurs figures féminines, parmi lesquelles seules trois ont marqué l’histoire anglaise : Elisabeth Ier, Victoria et Elizabeth II. Leur règne, particulièrement long, non dépourvu de réussite, a forcé l’admiration de leurs contemporains. Elizabeth Ier Tudor, à la fois père et mère de la nation dès son sacre en 1559, ainsi que chef de l’Eglise anglicane, est « la première à fonder un modèle inédit de pouvoir féminin. La « reine vierge » ne fut pas la femme d’un roi, mais un roi-femme » (p.119). Elle fut en tout cas une souveraine aussi crainte qu’admirée, marquant l’avènement de son pays au rang de grande puissance. Les soixante-trois ans de règne de la reine Victoria, de 1837 à 1901 ont été encore des années de transformations profondes, d’après Edmond Dziembowski (p.245 et ss.) dont la reine Victoria est devenue le symbole. Lorsqu’elle accède au trône, la société britannique était encore de type aristocratique et rural. Elle a été confrontée à l’affirmation du système parlementaire et des idéaux démocratiques. Le développement de la classe moyenne et de la classe ouvrière, ainsi que le processus d’urbanisation, le développement industriel et les découvertes techniques vont faire passer l’Angleterre à une autre époque. Après les révolutions politiques du XVIIe siècle, « une révolution globale aux effets plus profonds » est accomplie. On a parlé du « miracle victorien ». La reine Elizabeth II, le règne le plus long d’Europe (70 ans de règne) est, elle, « la reine universelle », décédée en 2023. Son long règne se confond avec le Royaume-Uni qu’elle a si bien incarné. Elle est carrément, de l’avis d’Anne Fulda, « une star internationale » (p.347). L’auteure la dépeint comme « royale et rurale, distante et familière, accessible et lointaine. Ancrée dans le passé, les traditions et le décorum, elle s’est adaptée aux évolutions de l’époque, aux impératifs de la communication moderne, parfois à contrecœur » (p.348). Une femme solide. Les années passent et Elizabeth demeure presque inchangée, comme un repère. Elle a «  su préserver l’aura de la couronne en suivant la marche du monde », disait d’elle Tony Blair (p.349).

 

Golda Meir a été désignée Premier ministre d’Israël en 1969, mais avant cela, elle a réussi à gravir lentement tous les échelons du pouvoir politique. Son leitmotiv suprême : défendre coûte que coûte la cause sioniste. « D’un caractère bien trempé, elle passe pour inflexible, abrupte, voire cassante envers ceux qui l’entourent », écrit Georges Ayache (p.283). Mais têtue, elle ne dévie pas de sa ligne de conduite. Elle refusait de manifester une quelconque faiblesse dans un monde politique d’hommes. David Ben Gourion, le fondateur de l’Etat hébreu, disait qu’elle était le « seul homme » de son gouvernement. Trois ans plus tôt que Golda Meir et treize ans avant Thatcher, Indira Ghandi devient Premier ministre de l’Inde. Première femme à la tête de la « plus grande démocratie du monde », héritant d’un pays connaissant troubles et menaces qu’elle ne parviendra pas à apaiser, malgré tous ses efforts. Pendant toutes ces années, elle a su se faire respecter. Son pouvoir était étendu. Le 31 octobre 1984, durant son deuxième mandat, elle est sauvagement assassinée par ses gardes du corps sikhs. Première cheffe de gouvernement en Europe de l’Ouest, la « dame de fer » Margaret Thatcher rêvait d’un capitalisme populaire (un peu comme de Gaulle) et d’une nation de propriétaires-actionnaires. A la suite de ses trois mandats, l’économie britannique a pu renaître en dépit d’un bilan contrasté. Elle convertit les conservateurs à ses réformes et redonne sa fierté au Royaume-Uni avec la victoire militaire aux Malouines. « Détestée ou érigée en modèle encore aujourd’hui, elle domine les années 80 (avec Reagan) marquées par la chute de l’URSS et l’avènement de la mondialisation, au point qu’on parle de la « décennie Thatcher » », écrit Emmanuel Hecht (p. 328). Première femme élue chancelière en Allemagne (et elle le reste de 2005 à 2021), Angela Merkel imprime son mode d’exercice du pouvoir à l’Allemagne durant ses quatre mandats successifs durant lesquelles sa popularité n’a jamais décliné. « Tacticienne, scientifique, politique de bout en bout, disait d’elle Viviane Chocas, passé d’Est en Ouest dans un parcours singulier, elle incarne magistralement le virage de l’Europe du XXe au XXIe siècle, et plus particulièrement la consécration de l’Allemagne réunifiée, pacifique, prospère et libérale » (p.411). Elle a été unanimement saluée à son départ, en Allemagne et à l’étranger au point qu’on avait du mal à lui trouver un successeur. L’institut d’études Yougov a demandé aux Français, Espagnols, Allemands, Italiens, Britanniques, Américains leur opinion sur plusieurs leaders en place, Macron, Johnson, Merkel, Biden, Trudeau, Modi, Poutine, XI Jinping. La chancelière recueille les meilleures notes (49% d’opinions favorables en France, 61% en Espagne, loin devant Macron et Biden (Angela Merkel Survey Results, Enquête réalisée entre le 9 juillet et le 10 août 2021).

 

Toutefois, malgré l’évolution des mœurs et des sociétés, l’éducation des femmes, la féminisation des métiers, leur participation dans les hautes sphères de l’économie (comme pour Christine Lagarde), de la recherche, de la science et de la politique même (Présidentes, premières ministres, ministres, députées, cheffes de partis), « la politique demeure un monde à part, un monde d’hommes, et singulièrement dans les régimes présidentiels » (p.11). Il est vrai qu’aux Etats-Unis, comme en France, deux systèmes présidentiels, jamais une femme n’a jusque-là été élue présidente, même si quelques tabous ont sauté dans ces pays : l’élection d’un président catholique (Kennedy), puis d’un président noir (Obama) ; en France, un président en concubinage (Hollande), puis un président de 39 ans marié à une femme de vingt-quatre ans son aînée. Deux pays considérés pourtant comme des démocraties enracinées. Mais on est encore loin du compte. L’accès des femmes en politique et au pouvoir reste en deçà des attentes à une époque où jamais le pouvoir féminin, dans des différents domaines, n’a été aussi réel.

 

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Hatem M'rad