L’UE envisage-t-elle de contourner Carthage et verser son aide au secteur privé ?

 L’UE envisage-t-elle de contourner Carthage et verser son aide au secteur privé ?

Ghazi Ben Ahmed

L’affaire remonte à fin septembre 2023 : piqué au vif par ce qu’il considère comme étant de l’ingérence européenne dans le dossier migratoire, notamment de la France et de l’Italie, le président tunisien Kais Saïed annonce avoir décliné une aide budgétaire de 60 millions d’euros de la Commission européenne. Mais nous apprenons aujourd’hui que le secteur privé tunisien lorgne sur cette enveloppe qui pourrait bientôt lui revenir au final. Explications.   

Ainsi le généralement bien informé Africa intelligence révèle que l’homme d’affaires tunisien expatrié Ghazi ben Ahmed, patron du think-tank Mediterranean Development Initiative (MDI) ne l’entendrait pas de cette oreille. Le tuniso-suisse pour qui la fanfaronnade du Palais n’est pas passée inaperçue déploierait depuis fin 2023 d’intenses efforts de lobbying de sorte de ne pas voir s’évaporer les 60 millions d’euros d’aides budgétaires en question versés à l’Etat tunisien et rendus à l’Union européenne (UE) sur décision du président tunisien Kaïs Saïed, en octobre dernier.

 

Le patronat s’embarrasse peu de questions souverainistes

Le dossier fut en effet à l’ordre du jour d’une table ronde au Parlement européen, dès le 26 octobre 2023. Via une participation de Ghazi Ben Ahmed qui s’y serait invité, et sous les auspices de l’eurodéputée Salima Yenbou (Renaissance), le meeting était consacré au « soutien à l’écosystème entrepreneurial et la coopération entre l’Union européenne et le voisinage Sud », un rebranding en somme du « paquet d’assistance opérationnelle sur la migration », qui contenait entre les lignes un interventionnisme européen outrancier selon Saïed et des commentaires « inacceptables » selon le chef de l’Etat à propos de la performance sécuritaire anti migratoire des autorités tunisiennes.

Pour rappel, Salima Yenbou est également membre de la commission affaires étrangères de l’UE. À défaut de profiter aux caisses de l’État tunisien, cette somme serait en passe d’être utilisée, sous forme de dons cette fois, pour financer des entreprises tunisiennes dites « innovantes » sur le plan technologique. Ce plan ferait donc partie des pistes prioritaires explorées pour la réaffectation de la somme, selon la même source.

A ce jour ces 60 millions d’euros sont revenus dans l’enveloppe de la Commission à la politique de voisinage et à l’élargissement, dirigée par le Hongrois Olivér Várhelyi. Pour mettre en œuvre ce plan, Ghazi ben Ahmed, qui s’active en coulisses contre le plan migratoire conçu par la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, se chargerait avec Salima Yenbou dans les prochaines semaines de sensibiliser des commissaires européens ainsi que d’autres parlementaires.

 

Le FMI réitère à son tour une proposition à la Tunisie

Autre voie snobée avec fracas par le président de la République Kais Saïed, le Fonds monétaire international revient à la charge, visiblement préoccupé par la vulnérabilité de l’économie tunisienne. Ainsi la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a affirmé dans une déclaration accordée le 11 février 2024 à Al Arabiya Business, que « la Tunisie, bien qu’ayant profité d’une certaine relance du tourisme, doit toujours affronter des défis économiques importants ».

La responsable a rappelé que le pays souffre d’un taux d’inflation très important, estimé à 9,8%, et que la croissance enregistrée est « très lente » (1,9% de prévision) comparée aux autres pays de la région, assortie d’un déficit budgétaire conséquent.

« La Tunisie doit réfléchir si elle veut compter sur le soutien du FMI car c’est cela son rôle et c’est pour fournir un tel soutien qu’il a été créé. J’ai rencontré le chef du gouvernement tunisien (récemment à Davos, ndlr) et nous avons discuté de la disposition de la Tunisie à poursuivre le dialogue avec le FMI. Il m’a assuré que son pays, contrairement à ce qui se dit, garde les portes du dialogue grandes ouvertes. Nous allons donc poursuivre notre travail ensemble et nous engager pour soutenir la Tunisie si le pays décide de bénéficier de notre support et de nos conseils, nous serons heureux de les lui fournir » a-t-elle expliqué.

Reste que le président Saïed pourrait voir d’un mauvais œil une telle déclaration, lui qui ayant opté ce mois-ci pour un emprunt direct auprès de la Banque centrale de Tunisie, a bel et bien fermé la porte des pourparlers avec le FMI, une porte que le Premier ministre Ahmed Hachani n’est certainement pas en mesure de rouvrir seul.

Hier 12 février, le même Ghazi Ben Ahmed se fendait d’une tribune à charge contre la décision présidentielle de Kais Saïd de rejeter tout financement par le FMI : « Il est paradoxal de constater que le président Saïed ait choisi de ne pas signer le programme proposé par le FMI (et élaboré par son gouvernement), motivé par la crainte que les mesures recommandées nuisent aux franges les plus vulnérables de la société tunisienne, risquant ainsi de déclencher des mouvements sociaux », avertit le businessman tout en dénonçant le recours à la planche à billets.

 

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Seif Soudani