Mondial. L’épopée des Lions de l’Atlas change les mentalités au Maghreb

 Mondial. L’épopée des Lions de l’Atlas change les mentalités au Maghreb

Mardi soir, la veille du match Maroc – France, au moment de débarrasser les tables des derniers clients dans les salons de thé d’un quartier huppé de Tunis, il ne reste déjà plus de places pour le lendemain aux abords des écrans géants installés pour l’occasion : toutes sont réservées.

 

Le bouleversement de l’ordre mondial footballistique auquel nous assistons aura manifestement des répercussions durables qui transcendent le monde du sport. En Tunisie, les débats sur l’appartenance, la préférence nationale et l’identité ont refait surface, à mesure que le Maroc s’est frayé un chemin en demi-finales de la Coupe du monde. « Victoire « africaine » pour les uns, « arabe » pour les autres, « amazighe » ou encore représentative du football « en terre d’islam ».

Extension du domaine du possible

Mais plus encore que ces guerres de chapelles qui chacune revendiquait déjà cette année l’ascension, elle aussi historique, de la tunisienne Ons Jabeur en finale du Grand Chelem Wimbledon, la prouesse de la sélection marocaine implique dans l’inconscient collectif des peuples de la région l’extension du domaine du possible.

Car avec une victoire contre la France, un nul contre le Danemark, et une unique défaite 1-0 face à l’Australie, il s’en est fallu de peu pour que les Aigles de Carthage réalisent eux aussi l’exploit. Si cette joie par procuration que leur procure le parcours du Maroc au Qatar est si spéciale, c’est que les Tunisiens se sentent pousser des ailes en se projetant vers un avenir proche fait d’émulation avec ses voisins et d’abolition de la barrière psychologique des huitièmes et des quarts.

Tel un « elephant in the room » le contraste est par ailleurs saisissant entre le mutisme des régimes au pouvoir en Tunisie et en Algérie à propos de cet évènement, et l’enthousiasme des peuples frères qui, qu’ils soient résidents à l’étranger ou « au bled », n’ont pas manqué de se congratuler spontanément les uns les autres. Estomaquée par cet étonnant paradoxe, la presse française écrit : « Malgré le fervent soutien des supporters algériens, le JT de la télévision publique algérienne a passé sous silence la qualification historique du Maroc en demi-finale du Mondial de football, en raison de fortes tensions diplomatiques entre les deux pays ». Un silence radio devenu une source de facéties pour les internautes en Tunisie où un « meme » parle de « l’équipe habillé en rouge, pour ne pas la nommer ».

Ancien ambassadeur de Tunisie en Allemagne, au Japon, en Inde et en Corée du sud, Elyes Ksari a des mots durs pour ce contraste qu’il estime symptomatique d’une forme de décadence ou de déclin y compris sportif :

 

L’irrésistible popularité universelle du football

Plus généralement, l’autre grand perdant de cette édition du Mondial, c’est le camp de l’appel au boycott, littéralement balayé par l’engouement en hausse en termes d’audience TV et tous supports confondus, et qui n’a que faire de la politisation de ce sport.

« Que l’on condamne des pays qui s’enferment dans leurs erreurs, fuient le multilatéralisme, rejettent la présence d’organisations internationales et d’agences onusiennes, pourrait se comprendre[…]. Mais que des pays, revenant de très loin comme le Qatar, cherchent à rejoindre les critères internationaux, tout en faisant encore des erreurs, et sont jetés en pâture comme les précédents, nous paraît injustifié et contre-productif », écrit le politologue Sébastien Boussois.

Sans nécessairement verser dans des thèses complotistes, certains observateurs de la scène géopolitique considèrent que le timing du coup de filet contre les hauts responsables du Parlement européen à Bruxelles aujourd’hui n’est peut-être pas innocent, au moment où était actée la réussite de cette édition du tournoi. Il n’en fallait pas plus en effet pour que des voix au sein des droites nationalistes occidentales, parfois mauvaises perdantes, réassocient tout exploit sportif arabe, en apparence asymétrique et en terre qatarie, à des soupçons par analogie de corruption de l’arbitrage.

« Ridicule » et « triste », s’exclame l’ancien sélectionneur du Maroc Hervé Renard qui se fend, pour sa part, d’une leçon de reconnaissance immuable : « Je suis français, je suis né en France, j’ai un passeport français mais, demain, je suis désolé je supporterai l’équipe du Maroc. Parce que ce pays m’a marqué, les gens m’ont apporté de l’amour à un point que vous ne pouvez même pas imaginer », a-t-il déclaré au micro de RMC Sport.

>> Lire aussi : Mondial. Football. La reconquête

Seif Soudani