La chronique du Tocard. Touche pas à mon Parc

 La chronique du Tocard. Touche pas à mon Parc


La première fois que j’ai posé mes lèvres sur la bouche d’une fille, j’avais fermé les yeux instinctivement, submergé par l’émotion de l’amour en culottes courtes. En vrai, je flippais ma race de Petit Gnoule, peur de ne pas savoir bien faire, du haut de mes 1m50 les bras levés. C’est pas évident les soubresauts de l’amour pour un mec, censé dans nos sociétés être le meneur de bal. J’avais mis la langue direct comme les acteurs faisaient dans les films de boules et d’épée et la nana avait trouvé ça dégueulasse. La conne… 


 


C’était pourtant elle qui avait eu l’idée de départ pour les embrassades. À la récré, elle m’avait demandé si je voulais « sortir » avec elle et j’avais répondu Oui. Un Oui pas assumé, qui ne venait pas du cœur, mais je m’étais laissé tenter : Ca m’engageait à rien cette aventure à deux. Après les cours, on allait au Parc de La Courneuve pour la tranquillité du lieu et aussi pour le romantisme à cause du lac et des canards qui se baladent dessus. Derrière un arbre, elle m’avait dit Embrasse moi. La chaudasse… Je m’étais exécuté et moi aussi j’avais trouvé ce premier baiser pas terrible du tout. Malgré nos sentiments, on débutait et en amour, ça pardonne pas le manque d’expérience.


 


Alors pendant quelques temps,chaque mercredi, et on était pas les seuls dans ce cas, on revenait ici pour pouvoir faire des petits câlins en toute intimité. Et ça devenait presque agréable. Comme l’amour finit toujours droit dans un mur, elle avait décidé de me lâcher pour un autre cavalier, plus mignon, moins Gnoule aussi, en choisissant un camarade de classe, qui était de surcroit un ami. Classique…. J’avais eu doublement mal, l’abandon mêlé à un sentiment de trahison, en apprenant également qu’elle emmenait son nouveau copain dans notre Parc à nous 2, mais j’avais fait le deuil de cette première histoire d’amour en me rappelant qu’elle m’avait aimé avant lui. 




Les années avaient défilé inexorablement. J’avais gagné des poils un peu partout sur le corps. À l’adolescence, à cause de la délinquance juvénile, j’avais quitté la Seine-Saint-Denis quelque temps pour un séjour austral de huit années, une fuite en avant, salutaire pour ne pas devenir fou. À mon retour de Sydney, gonflé à bloc, j’étais revenu illico au Parc de La Courneuve. Pas pour bisouter bien sûr, j’étais un homme et désormais, l’amour physique était secondaire pour moi. J’étais revenu dans ce merveilleux endroit pour suer avec des copains. Des footings extraordinaires de plus d’une heure. A chaque fois, un sentiment de liberté. L’impression de ne plus être au milieu du béton. Le Parc de La Courneuve était le poumon du 93. Un lieu où on pouvait enfin respirer loin des barres d’immeuble. La fierté de la Seine-Saint-Denis, même. À chaque fois qu’un ami de province ou de l’étranger venait me rendre visite, je l’emmenais ici. Et il en revenait pas de voir autant de verdure. 




Il y a quelques jours, j’ai appris et j’en ai pleuré toute la nuit, qu’un architecte, un certain Castro, il porte bien son nom celui-là, il était une fois un communiste, tendance stalinien, c'est-à-dire un communiste pour soi-même !, pour grossir son capital donc, avait l'intention de construire à l’intérieur du Parc des logements. 24000 au total ! Il voulait nous prendre 80 hectares de terrain sur les 417 de l’ensemble du parc pour pouvoir y foutre du béton. Là, tout de suite, si Castro s'était trouvé devant moi… 


 


Avec son pote Rozenblat, tous les deux, des Bobos en herbe, ils criaient à qui voulait l'entendre les bienfaits de pouvoir vivre à l’intérieur d’un parc. L'avenir de la ville, disaient-ils. C’est ce que les promoteurs immobiliers avaient fait à New York, à Central Park. Aujourd’hui, un appartement sur place valait des millions d’euros. Avec toutes les excuses qu'ils allaient essayer de nous trouver pour essayer de nous endormir : création d'emplois, apporter de la mixité sociale, etc., l'idée même de foutre du béton dans un parc me foutait juste en rogne et j'avais comme une envie d'insurrection non pacifique….




En apprenant donc cette terrible nouvelle, j'étais sûr que les élus de gauche seraient tous contre. Pour le Parti socialiste, je m'attendais au pire, mais quand j'ai appris que certains communistes soutenaient le projet, j'ai compris que ce projet avait toutes les chances d'aboutir. Alors, dimanche dernier, je suis allé au Parc de La Courneuve avec une fille de mon âge pour retrouver les sensations d'hier et tout et tout. On a trouvé un coin discret comme je faisais à l'époque avec mon premier amour et on s'est bécotés quelques instants. Je sais pas pourquoi, mais j'étais pas tranquille. En fait, j'imaginais déjà quelqu'un sur son balcon nous espionner….


Nadir Dendoune

Nadir Dendoune