Le procès Ben Ali aura bien lieu

C’est donc officiel, le procès tant attendu par les Tunisiens de leur président déchu aura bien lieu : c’est ce qu’a annoncé hier le Premier ministre du gouvernement de transition, Béji Caïd Essebsi, au micro d’Al Jazeera au cours de l’émission « Hadith El Thawra » (Les échos de la révolution), sur le plateau de laquelle il aura fait une apparition remarquée, en se distinguant, de l’avis-même du présentateur, par beaucoup d’humour et d’intelligence politique. Le procès se tiendra donc le 20 juin, sans doute par contumace, l’ex président étant en fuite avec sa famille, réfugiés en Arabie Saoudite.

Un nombre record de chefs d’inculpation

A la découverte au Palais présidentiel de Sidi Dhrif de caches d’armes, de drogues diverses et de bijoux de valeur et d’argent liquide pour une somme s’élevant à l’équivalent de pas moins de 20 millions d’euros, s’ajoutent comme autres chefs d’inculpation : Trafic, homicide volontaire, complot contre la sûreté de l’Etat, et trafic d’influence, entre autres affaires, pour un total record dans l’histoire de la justice tunisienne de 93 affaires inculpant à ce jour l’ex président et son clan.

Mais à mesure que des dignitaires de l’ex régime sont arrêtés, la liste va sûrement se prolonger, comme en atteste l’arrestation la semaine dernière à Sousse de l’une des sœurs de Ben Ali ayant permis après son interrogatoire de saisir trois yachts arraisonnés sur différentes îles voisines du pays.

Un procès en forme de catharsis

Bien que dès le 3 juin dernier le 3 juin dernier le porte-parole du ministère de la Justice, Kadhem Zine El Abidine, avait déjà déclaré que le premier procès de Ben Ali et son épouse se tiendrait avant la fin juin, l’intervention télévisée d’Essebsi intervient à un timing judicieux qui n’est sans doute pas le fait du hasard. En politicien chevronné, Béji Caïd Essebsi (85 ans) ancien conseiller et ministre de carrière de Bourguiba, sait certainement ce qu’il fait, à un moment où le pays a plus que jamais besoin d’apaisement. Ce n’est en effet pas la première fois que le Premier ministre distille les annonces au gré des conjonctures propres à chaque période, faisant preuve d’un sens aigu du temps politique, alternant fermeté (délicate sans légitimité populaire) et concessions à la contestation.

En effet, le récent report des élections annoncé il y a une semaine pouvait laisser la place à des spéculations de la rue et à l’opportunisme de certaines parties pour instiller le doute au sein de l’opinion du spectre d’une reprise en main contre-révolutionnaire du pays par d’anciens cadres du régime Ben Ali cherchant à préserver leurs  intérêts en gagnant du temps. Voilà qui vient donc apaiser les choses en donnant un signal fort que justice sera faite, et plus rapidement qu’on ne le croit. Une annonce très bien accueillie, aux accents de thérapie de groupe pour un peuple se sentant lésé et ayant probablement besoin d’un procès cathartique ayant valeur de réconciliation nationale nécessaire avant de passer à l’effort de reconstruction.

Un royaume saoudien mis en difficulté

Sur un plan strictement judiciaire, bien qu’il existe des accords de coopération en matière de justice entre tous les pays membres de la Ligue Arabe, il n’en va pas vraiment de même sur un plan plus politique, l’Arabie Saoudite n’extradant généralement ni ses ressortissants ni ses « hôtes ». Cependant les critiques se multiplient pourtant avec l’arrivée sur son sol d’un deuxième président dictateur arabe, de facto techniquement bientôt déchu à son tour, 3ème victime du Printemps Arabe, le yéménite Ali Abdallah Saleh.

En proie lui-même à un début de soulèvement ces derniers mois, certes très vite réprimé, la situation n’en est pas moins potentiellement explosive au royaume, comme en témoigne la multiplication récente des cas de défiance de l’autorité la famille régnante des Al Saoud, avec notamment l’affaire ayant fait grand bruit des femmes saoudiennes bravant l’interdiction de conduire, initiée par l’acte sans précédent de Manal Al-Charif, femme désormais icône d’un mouvement qui a valu à plusieurs femmes d’être arrêtées (6 à ce jour) pour avoir répondu à son appel, un signe révélateur du fait que le vent commence à tourner au royaume wahabite. Le risque est clairement à terme pour le pays de voir la légitimité du pouvoir central considérablement affaiblie en devenant un havre de paix pour ex dictateurs, au nom de rapports de copinage avec le Prince Abdallah, qui invoque de son côté un principe peu convaincant aux yeux du reste du monde de nécessité de solidarité inter arabo islamique, exigeant qu’on ne livre jamais un coreligionnaire musulman…

S.S.

Seif Soudani