Tunisie – L’évènement « A3ta9ni » devient un mouvement national

 Tunisie – L’évènement « A3ta9ni » devient un mouvement national

En faisant des émules dans les villes de l’intérieur de la Tunisie

Née de l’idée de réagir spontanément contre les dérives liberticides du système et du besoin de dire « assez » aux violences causées par des manifestations salafistes réunissant toujours plus de monde chaque vendredi, la marche « A3ta9ni » (« Aatakni » : laisse-moi vivre / respirer) ne se contente pas d’avoir été un franc succès. En faisant des émules dans les villes de l’intérieur de la Tunisie, elle est désormais en passe de devenir un large mouvement national.

A l’issue de la marche « A3ta9ni » de dimanche 16 octobre (6 500 manifestants selon la police, 10 000 selon les organisateurs), nous étions présents au débriefing qui a rassemblé les jeunes organisateurs dans un restaurant tunisois non loin de la Place Pasteur d’où tout est parti. Une ambiance euphorique y régnait. Créée par un mélange de surprise devant l’ampleur de l’évènement ayant surpris le noyau dur de l’opération, et la sensation du devoir accompli, elle  a été attisée par la présence de la presse internationale (de la Suisse aux Etats-Unis), elle-même prise de cours et désirant en savoir plus sur la suite et la tournure qu’A3ta9ni allait prendre.

C’est que dès le débriefing festif, il était clair que les jeunes universitaires n’allaient pas en rester là. Non contents d’avoir rassemblé bien plus de Tunisiens que les intégristes, ils comptent faire fructifier ce succès populaire en transformant l’essai. « Pas question de lâcher la pression, il faut continuer au moins jusqu’aux élections, montrer notre détermination, il faut créer une page permanente sur les réseaux sociaux, il ne s’agit plus d’un simple évènement ! », s’exclamait un des organisateurs, le Tuniso-palestinien Nadim Bayar.

La région du Sahel à l’avant-garde, première à bouger dans le sillage de Tunis

L’équipe d’A3takni n’était pas au bout de ses surprises. A peine rentrée à son quartier général au nord de la capitale, elle découvre avec joie et stupeur que le mouvement est en train de faire tache d’huile. Les mêmes slogans anti obscurantistes sont en effet repris le soir-même à Monastir. Ville natale de Bourguiba demeurée fief du bourguibisme, la ville est traditionnellement en pointe s’agissant du combat pour les valeurs universelles et laïques. Elle fut en outre le théâtre du premier rejet d’Ennahdha, dont les militants furent empêchés de tenir un meeting au lendemain de la révolution dès février dernier.

Tout aussi spontanée et non moins réussie au regard de la taille de la ville, la marche monastirienne au lendemain de celle de Tunis fait la une du journal télévisé de la télévision nationale lundi soir. On pouvait même y lire des slogans encore plus audacieux tels que « Ici, pas de barbus, que de la matière grise », ou encore « Notre voix est plus forte que vos ténèbres ».

Certains pensaient en rester là au vu de l’actualité nationale accaparée par les élections de la Constituante qui approchent à grand pas, mais c’était sans compter la rivalité historique avec la ville voisine de Sousse. Pas moins de 4 000 personnes descendent encore dans la rue mardi sous le slogan « Ahrar et non pas kouffar » (Libres et non pas mécréants), provocant, là encore, quelques petits incidents avec les islamistes en marge de la marche qui a traversé la célèbre corniche de Sousse, capitale d’un sahel décidément très réactif.

La contagion révolutionnaire s’étend au reste du pays

Bizerte, Mahdia, Nabeul, Hammamet, et Sfax ne tardent pas à se joindre au mouvement ce samedi, chaque fois tout aussi bénévolement, des locaux contactant la cellule de crise du mouvement basée à Tunis via Facebook. Même Kairouan (demain jeudi) et Kasserine dans le sud tunisien prévoient une marche qui sera sans doute parmi les défis les plus durs à relever jusqu’ici, les régions du centre-ouest et du sud étant un fief de l’islam politique à en croire les derniers sondages d’opinion.

A3ta9ni n’a donc pas fini de défrayer la chronique, rien ne semble arrêter la dynamique révolutionnaire créée dimanche dernier et, signe de pérennité, un hashtag Twitter a même été créé : #a3ta9ni. Le Courrier de l’Atlas qui fut le premier média à couvrir les préparatifs du mouvement initial gardera évidemment un œil sur ce qui semble de plus en plus s’apparenter à un mouvement d’envergure au parfum de révolution 2.0.

Seif Soudani

Seif Soudani