Ouissem Belgacem, ancien footballeur qui a fait son coming-out : « Je ne veux plus avoir à mentir sur qui je suis »

 Ouissem Belgacem, ancien footballeur qui a fait son coming-out : « Je ne veux plus avoir à mentir sur qui je suis »

Ouissem Belgacem lors de sa conférence à l’Institut du monde arabe, vendredi 13 janvier 2023.

Né dans un quartier populaire d’Aix-en-Provence en 1988 dans une famille d’origine tunisienne, Ouissem Belgacem, 35 ans, a longtemps dissimulé son homosexualité. En mai 2021, cet ancien footballeur sélectionné en équipe nationale tunisienne et passé au centre de formation de Toulouse où il a côtoyé Moussa Sissoko et Etienne Capoue a fait son coming-out dans un livre remarqué « Adieu ma honte » (Ed. Fayard). 

Aujourd’hui, celui qui a envie de renoncer à aucune de ses identités, – il est français, tunisien, musulman, arabe, homosexuel -, mène son combat contre l’homophobie dans le football en multipliant par exemple les rencontres dans les clubs. Mi-janvier, nous l’avons rencontré à l’Institut du monde arabe à Paris où il donnait une conférence co-organisée avec le JINS Podcast.

Ouissem Belgacem - Adieu ma honteLCDL : Après la sortie de votre livre, avez-vous reçu des messages de soutien de la part d’autres footballeurs ?

Ouissem Belgacem : Des footballeurs avec qui je suis ami depuis très longtemps m’ont envoyé des sms, mais aucun joueur n’a osé me soutenir publiquement. Heureusement d’autres sportifs, comme la championne française olympique de judo Clarisse Agbegenou, n’ont pas hésité à faire savoir qu’ils encourageaient ma démarche.

Pourquoi, selon vous, ce manque de soutien de la part des footballeurs ? 

Parce que l’homosexualité reste encore un sujet tabou et pas seulement dans le football. Les joueurs ne veulent pas mettre en danger leur carrière en soutenant un homosexuel. Le football est le sport le plus paradoxal au monde. D’un côté, il a la capacité de réunir tout le monde, même ceux qui n’aiment pas le football. Par exemple, le temps d’une coupe du monde, tout le monde va porter le maillot de leur équipe favorite, se réunir devant la télé, etc., mais c’est aussi le sport qui exclut le plus.

On a mis énormément de temps à tolérer les femmes dans les stades, à avoir une femme arbitre. Dans ce registre, les homos c’est tout en bas ! Ça explique pourquoi nous n’avons pas encore d’homosexuel qui arrive à vivre tranquillement sa sexualité dans son équipe. C’est frustrant parce que le football pourrait très bien être un outil pédagogique en faveur de l’inclusion de toutes et de tous. Si Kylian Mbappé se teint les cheveux en violet, vous verrez le lendemain plein de jeunes à Paris se teindre les cheveux en violet. C’est pour cette raison que j’attends plus des stars du football.

Vous avez attendu longtemps avant de faire votre « coming-out »…

Plus jeune, je n’aurais pas pu assumer mon homosexualité. Gamin, on veut être accepté et faire partie d’un groupe. L’annonce de mon homosexualité aurait provoqué pas mal de rejet. Il y a quelques années, un entraineur de foot m’a dit que j’avais bien fait d’être resté discret sur mon orientation sexuelle : si j’avais dit à l’époque que j’étais homosexuel, j’aurais été mis à l’écart du centre de formation.

Je suis à la croisée de plusieurs discriminations. Comme beaucoup de Maghrébins d’origine, j’ai souffert du racisme mais sans hiérarchiser les souffrances, subir l’homophobie est pire. Elle est pire parce quand tu es victime d’homophobie, tu ne peux pas en parler à ta famille. Plus jeune, je n’avais personne à me confier. Pour beaucoup d’homosexuels, tes amis représentent ta première famille. C’est vers eux que tu te confies et si tes amis te rejettent, il te reste qui ?

Vous dites que la misogynie et l’homophobie prennent racine dans le même mal…

Dans le sport, on a jamais valorisé la féminité, et même quand tu es un sportif de haut niveau, il ne fait pas bon de montrer sa vulnérabilité. Il faut être dur, fort tout le temps. Même quand cela ne va pas, il ne faut pas le montrer. On ne doit pas montrer ses émotions. Ça en devient toxique, le niveau de masculinité.

Que j’aime les femmes ou les hommes, ça n’aurait rien changé au footballeur que j’étais. Je courais aussi vite, je sautais aussi haut, je faisais les mêmes passes, je ne trouve pas normal que mon homosexualité ait eu un tel impact sur ma carrière. Une orientation sexuelle n’a pas d’impact sur les performances sportives. Embrasser un garçon ne m’a pas rendu moins rugueux sur le terrain.

Promis à une belle carrière, vous avez quitté le football à 21 ans…

Oui, j’ai fini par en avoir marre de jouer à l’agent double. Minot, j’avais deux rêves : être hétéro et devenir joueur professionnel. J’en ai réalisé aucun ! A 16 ans, j’ai fait partie d’une brigade anti-gay et on allait chasser du homo. C’était pour dissiper le moindre doute sur mon orientation sexuelle. La société a voulu faire de moi un homo malheureux et honteux.

Dès mon plus jeune âge, j’avais l’impression qu’être hétéro, c’était la norme, qu’il fallait l’être si tu voulais être accepté. J’entendais ça partout : chez moi, au club de foot, et même quand j’allais au cinéma, c’était toujours un mec qui sauvait la fille. Tu ne voyais jamais l’inverse.

J’ai beau avoir écrit ce livre, j’ai beau avoir 35 ans, je sens que j’ai toujours en moi des relents de cette homophobie intériorisée. Il m’arrive encore d’être mal à l’aise quand je me retrouve côte à côte avec un homosexuel à la féminité prononcée. J’essaie de déconstruire tout ce que j’ai pu apprendre et absorber pendant tant d’années, parce que tout le monde a le droit d’être comme il veut être.

Comment votre coming-out a-t-il été accueilli au sein de votre famille ? 

Je n’ai pas de frères, juste des sœurs. Avec elles, il n’y a eu aucun problème. Ca se passe toujours mieux avec les filles ! Avec ma mère, cela a été un peu plus compliqué comme c’est le cas dans beaucoup de familles, qu’elles soient musulmanes ou pas.

On ne s’est pas parlé pendant deux ans et il a fallu que la meilleure amie de ma mère perde son fils pour que la mienne renoue les liens avec moi, se rendant compte que j’étais toujours vivant. Comme je l’ai écrit à ma mère un peu plus tard : « ce n’’est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle que je sois homo, c’est juste une information sur qui je suis ».

Justement, vous êtes homosexuel et musulman, ce qui semble poser problème à certains…

Dans les premiers rapports que j’ai eus avec la religion, j’entendais toujours que c’était péché d’être homo. Pourtant, quand je lis le Coran, je ne lis qu’amour. Si on entre dans les détails, notamment le passage sur le « peuple de Loth » à Sodome et Gomorrhe, beaucoup de personnes pour justifier le fait qu’on ne peut pas être homosexuel et musulman, m’ont expliqué qu’il s’agissait ici des ancêtres de la communauté LGBT. Je ne le vois pas du tout comme ça.

Parmi les gens du « peuple de Loth », il y avait, c’est vrai, des hommes qui couchaient avec des hommes mais aussi des rapports hétérosexuels. En définitif, il s’agissait surtout de truands, de brigands, de violeurs. Je ne suis aucun de ces gens-là et je ne souhaite jamais le devenir.

Pour moi, l’islam, c’est d’abord un rapport assez vertical entre toi et Dieu. En définitive, seul le bon Dieu sait ce qu’il y a dans mon cœur. A aucun moment, en lisant le Coran, j’ai compris qu’il fallait s’arbitrer les uns les autres en mode « toi t’es un bon être humain, toi t’es un mauvais, toi tu mérites un carton jaune, toi un carton rouge ».

Aujourd’hui, je suis très serein. Je vis ma spiritualité dans mon intimité. Au final, mon rapport à la religion ne regarde que moi. Je vis ma religion comme je la sens. Je n’attends plus la validation des autres. Je n’ai pas à demander à qui que ce soit d’être qui je suis.

En 2021, vous avez écrit un livre « Adieu ma honte ». Avez-vous dit adieu à votre honte ? 

Je ne veux plus avoir à mentir sur qui je suis. Cela demande beaucoup trop d’énergie. Par le passé, cela m’a trop bouffé. Je n’ai rien à prouver à qui que ce soit. On peut être de multiples choses à la fois parce que le monde est complexe. J’ai une double culture, je suis né en France, mes parents sont nés en Tunisie.

J’ai porté le maillot de l’équipe nationale de Tunisie sans en connaître l’hymne national, donc forcément je suis attaché à ce pays. J’aime y retourner, j’en suis fier. Et je suis aussi français et fier de l’être. Aujourd’hui, je n’ai envie de renoncer à aucune de mes identités. Je suis français, tunisien, musulman, arabe, homosexuel…

Il y a quelques temps, alors que je me trouvais dans un Uber et que je rentrais chez moi après le match entre le PSG et le REAl, j’ai commencé à discuter avec le chauffeur qui semblait s’y connaître en football. A un moment, il m’a demandé « si je rentrais chez ma meuf », je lui ai répondu « Non chez mon copain ». Jusqu’à la fin de la course, il n’y a plus eu aucun bruit mais ça ne me dérange plus.

Avant, j’aurais peut-être menti et j’aurais pensé « pourquoi créer une situation difficile avec quelqu’un que je ne reverrai jamais ? ». Aujourd’hui, j’ai compris que si ce chauffeur ou quelqu’un d’autre a un problème avec le fait que je sois homo, c’est à lui de le gérer, c’est son problème pas le mien.

Nadir Dendoune