Face à la maladie, le rire pour mieux guérir

 Face à la maladie, le rire pour mieux guérir

Caroline Simonds (à gauche)


MAGAZINE JANVIER 2018


Ils apportent de la joie dans des lieux où le quotidien est parsemé de larmes et ponctué de douleurs. Les clowns hospitaliers du Rire Médecin font du bien aux grands et aux petits. 


Collant vert pomme, petite robe, couettes de petite fille espiègle, flûte traversière au bec… Caroline ­Simonds, ou plutôt Docteur Girafe, est prête à inter­venir dans le service d’hémato-immuno-oncologie ­pédiatrique de l’hôpital Armand-Trousseau, dans le XIIe arrondissement de Paris. Cet établissement, la comédienne, fondatrice du Rire Médecin, le connaît par cœur. Son association y intervient depuis ses ­débuts, en 1993. Près de vingt-cinq ans qu’elle en arpente les couloirs et les étages, distillant bonne humeur, plaisanteries et autres bulles de savons. A son passage, le personnel soignant retombe en enfance, les parents sourient et les gamins éclatent de rire.


 


Une parenthèse enchantée


Ce matin, Docteur Girafe a pour complice Michel Buquet, qui, lui, a choisi pour nom de scène Président Agacuk, un genre de dictateur déchu arborant chemise à fleurs et guitare en bandoulière. “Le fait d’être à deux est essentiel, car nous créons de véritables ­saynètes. Les enfants sont libres d’interagir avec nous ou de rester spectateurs, selon leur humeur”, précise Michel ­Buquet. Avant d’offrir une parenthèse enchantée à une vingtaine de petits malades, les deux comédiens se réunissent avec l’équipe médicale qui les a briefés sur l’état de chacun d’entre eux. “Nous improvisons en fonction de chaque ­patient. Si un gamin est nauséeux, nous ­ralentissons spontanément nos gestes”, poursuit le Président Agacuk.


Les premiers malades auxquels nous rendons visite sont des adolescents. Hawa (1) exige que le duo interprète le tube Andalouse, de Kendji Girac, et se met à chanter à tue-tête en improvisant un micro avec un instrument médical, alors même que l’infirmier lui prodigue le soin dont elle a besoin. Ahmed, lui, a droit à une chanson égyptienne sous les yeux ébahis de son papa. Les deux clowns ont un sacré répertoire, incluant berceuses lingalas et autres dialectes. Aydan, un bébé de tout juste 6 mois, séparé de son frère jumeau hospitalisé dans une chambre voisine, se laisse captiver par une danse de foulards multicolores orchestrée par Docteur Girafe. D’autres, absorbés par les écrans d’une tablette ou d’un téléviseur, ne souhaitent pas être dérangés. Roméo, lui, est visiblement trop fatigué. Le spectacle ne durera que quelques ­minutes. Et puis il y a ceux auxquels les clowns font peur et qu’il faudra amadouer petit à petit.


Michel Buquet, alias Président Agacuk


Rien n’est imposé aux enfants


Docteur Girafe se souvient qu’à ses débuts, quand elle était encore aux Etats-Unis, un garçon d’une dizaine d’années abhorrait les clowns. “Il était atteint du VIH, et ses parents étaient décédés de la même maladie. Il s’appelait Amar. Il ne nous aimait pas et n’arrêtait pas de nous rejeter, mais on ne voulait pas le laisser seul. Un jour, il nous a même jeté une boîte de céréales à la ­figure, le clown qui m’accompagnait ce jour-là a eu la bonne idée de tomber et le gamin a éclaté de rire. Du coup, nous sommes devenus ses copains… Il était en fin de vie et ne parvenait plus à se nourrir. Mais il exigeait qu’on aille lui chercher un hamburger jamaïcain. Il se contentait d’en humer les odeurs, mais ça lui procurait un ­incroyable bonheur. Il nous disait ‘merci’. Ce rituel a duré un mois, puis il est décédé.”


Si la fondatrice du Rire Médecin raconte cet émouvant et dramatique épisode, c’est pour souligner ­combien il est important de laisser le pouvoir aux enfants de “décider de la forme que prendra le jeu”. Pour l’heure, c’est la distribution des repas pour les petits malades. Les clowns en profitent pour déjeuner et débriefer la matinée. Docteur Girafe regrette de ne pas avoir réussi à endormir Anna, une petite qui cherchait désespérément le sommeil dans son petit lit à barreaux. En revanche, elle se réjouit d’avoir fait sortir de dessous sa couverture, grâce à la magie d’un tube de bulles de savons, un gamin passionné de dinosaures, lequel ne voulait a priori pas voir les clowns ce jour-là.


 


Des histoires qui finissent bien


Cette pause est aussi l’occasion de se souvenir des histoires qui finissent bien. “Il y a une vingtaine d’années, une jeune patiente de 15 ans attendait une greffe de rein. Très mélomane –elle était harpiste –, elle aimait que je joue de la flûte dans sa chambre. Nous sommes toujours en contact. A 38 ans, elle a dû être greffée à ­nouveau et elle a souhaité que je vienne à son chevet. ­Aujourd’hui, elle a 40 ans et elle est chercheuse en immunologie à l’Institut Imagine. Elle s’appelle Amélie Bigorne et elle est, depuis 2011, vice-présidente du Rire Médecin.” 


(1) Pour respecter l’anonymat des enfants, leurs prénoms ont été modifiés.


Témoignages :


Au début, je n’aimais pas les clowns. Maintenant, je préfère aller à l’hôpital le mardi ou le jeudi, pour voir Patafix”, ADAM, 7 ANS


Je me souviens d’un enfant qui vivait ses derniers instants. Il adorait les clowns. Ces derniers lui ont chanté des chansons et mis un nez rouge sur sa sonde à oxygène. Il est décédé quelques heures après. Il avait gardé son nez rouge.” DELPHINE, SOIGNANTE


Nous avons fêté les 1 an de ma fille à l’hôpital. Il y avait un gâteau, des bougies, des cadeaux et l’instant magique quand les clowns sont arrivés. Des étoiles brillaient dans ses yeux !” NADIA, UNE MAMAN


 


Encadré : ASSOCIATION DE BIENFAITEURS


Fondée par la comédienne américaine Caroline Simonds, le Rire Médecin a fêté ses 25 ans l’an dernier. Chaque année, 80 000 moments de bonheur sont dispensés aux patients âgés de 1 jour à 22 ans. Une centaine de clowns professionnels interviennent en duo deux fois par semaine dans 46 services pédiatriques de 15 hôpitaux de France (région parisienne, Tours, Orléans, Marseille, Nancy, Nantes et Angers). Depuis 2011, l’association dispose de son propre institut qui propose une formation diplômante de comédien-clown.


 


 

Fadwa Miadi