Sortir de la précarité : le micro-crédit est-il suffisant ?

 Sortir de la précarité : le micro-crédit est-il suffisant ?

Inventé par le bangladais Muhammad Yunus, prix Nobel en 2006, le micro-crédit est destiné à lutter contre la pauvreté. Il finance une catégorie de population précaire sur le plan économique, et ce, sur la base d’activités génératrices de revenus. Penchons-nous sur la situation au Maroc.

Le financement de petits montants auprès d’un nombre de clients éparses, et le suivi qui en découle, mobilise une machine humaine importante, qui justifie des taux d’intérêts élevés (pouvant atteindre jusqu’à 16%). Malgré cela, les financements par micro-crédit connaissaient au Maroc des taux de croissance élevés au cours des dernières années, (avant la crise Covid), en raison de son impact positif sur les populations précaires.

Dans le cadre d’un classement dans le monde arabe, à la fin 2020, l’encours de crédit au Maroc, s’élevait à 760 millions de dollars, se situant en deuxième position derrière l’Egypte. Ces crédits ont permis de financer une population de 710.000 personnes, soit un peu moins de 10% de la population active marocaine.

Saïda, cliente depuis 2007 de l’une des structures de micro-crédit au Maroc, « Al Amana », témoigne : « Je fabrique des gants de toilette chez moi, que je vends dans des souks. Mes moyens ne me permettaient pas d’en fabriquer en quantité. En ayant recours au micro-crédit, j’ai pu acheter plus de tissus et matières pour fabriquer les gants. Mes enfants m’ont aidée à les écouler après l’école. Aujourd’hui, j’arrive à peu près à joindre les deux bouts, en subvenant aux besoins de première nécessité, à moi et mes enfants ». 

L’exemple de Saïda est courant. Des dizaines de milliers d’auto-entrepreneurs bénéficient de ces crédits leur permettant de générer des revenus de subsistance. Bien que détenant un savoir-faire ancestral, telles que la broderie, la vannerie, la ferronnerie, la fabrication de tapis, le financement seul ne permet pas de valoriser correctement leurs compétences. Prenons l’exemple de la broderie. La fabrication d’une nappe brodée main peut nécessiter jusqu’à trois semaines de travail, donc une très forte valeur ajoutée. Cependant, cette valeur ajoutée réalisée en utilisant des tissus bas de gamme et un design dépassé, ne permet pas des ventes à des prix intéressants. À ce niveau, on touche du doigt les limites du financement par micro-crédit. Le financement à lui seul n’est pas suffisant pour sortir une catégorie de la population de la précarité, pour entrer dans une situation de prospérité, et non plus uniquement assurer l’auto-suffisance. 

Rappelons que la Grande-Bretagne, durant la révolution industrielle, s’était appuyée entre autres sur ses auto-entrepreneurs, disséminés à travers tout le pays, pour en faire émerger une industrie textile florissante. Au Maroc, ces entrepreneurs restent dans l’anonymat, dispersés. Les initiatives gouvernementales ou privées se focalisent sur le regroupement en coopérative, ou la mise à disposition de locaux, pour exposer leur production. Quelles seraient donc les solutions possibles pour compléter les bénéfices apportés par le micro-crédit ? 

Pour ce faire, il est judicieux de créer des structures publiques et/ou privées, pour accompagner ces dizaines de milliers de personnes, afin de pérenniser leurs activités sur des bases rentables. Ce travail complémentaire d’accompagnement est nécessaire pour assurer la qualité des produits fabriqués, et faciliter leur vente à travers des circuits de distribution performants. Cette politique vise à adapter la production artisanale au besoin des consommateurs à revenus élevés. 

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Quelques initiatives émanant de la société civile ont donné lieu à des réussites exceptionnelles, comme par exemple l’association « Le Réseau des femmes artisanes du Maroc », qui ont mis en valeur la production des artisanes, tout en les positionnant sur les marchés cibles. Une autre initiative innovante est venue de bénévoles qui ont acheté des kilomètres de lin de qualité, distribué des modèles aux designs « tendances », à près de 200 porteuses de micro-crédit identifiées dans les associations de micro-crédit, pour fabriquer des nappes conformes aux attentes du marché, vendues aux grandes entreprises du pays pour en faire des cadeaux de fins d’année, en spécifiant sur la carte de voeux qu’il s’agit de commerce équitable, le paiement se faisant directement à l’artisane, sans aucun intermédiaire.

Fouzia, cliente de la « Fondation Banque populaire pour le micro-crédit (FBPMC) », a bénéficié de cet accompagnement. Elle témoigne : « Auparavant, quand je fabriquais une nappe qui m’a nécessité 15 jours de travail, je ne pouvais la vendre à plus de 800 ou 1000 dirhams. Le fait de travailler aujourd’hui sur du lin avec des couleurs et motifs plus adaptés au goût actuel, ces mêmes nappes, qui m’ont nécessité le même nombre d’heures de travail, je les vends entre 3500 et 4000 dirhams. Comme je travaille avec mes filles et belles-filles, grâce à ces rentrées d’argent, j’ai pu acheter un appartement avec un complément de crédit. Pour un travail identique, j’ai multiplié mes revenus ». 

Travail d’accompagnement et d’encadrement des bénéficiaires pour adapter la production au goût des acheteurs, et même à l’export, est le secret de la réussite qui manque à une micro-finance performante. À l’heure actuelle, des expériences dans le e-commerce fleurissent, pour compléter ce travail d’accompagnement. 

La crise Covid a mis en difficulté plusieurs associations de micro-crédit. Il y a lieu de les sauver. Car derrière elles se cache une mine d’or inexploitée qui n’attend qu’à être mise en valeur. 

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Pour Youssef Bencheqroun, directeur général de « Al Amana microfinance », leader du secteur : « Le secteur de la microfinance a depuis toujours développé, parallèlement au volet financement, une activité de SNF (services non financiers), en y consacrant des ressources humaines, matérielles et en tissant des partenariats. Cette dernière activité naturellement ne peut pas être autant industrialisée que ne l’est l’activité de financement mais concerne toutefois pour l’ensemble du secteur bien 10 à 15000 micro-entrepreneurs par an. Elle est hébergée en partie au sein du Centre Mohamed VI de la microfinance solidaire dédié à l’accompagnement du secteur : formation des micro-entrepreneurs, valorisation de leur production par le biais de manifestations diverses , services aux institutions. Dans l’absolu, l’ensemble des clients déboursés reçoivent une formation de base lors du déblocage de prêts qui est en soi une initiation à des notions basiques de budget et éducation financière, ainsi que des formations sur la qualité, les ventes, le packaging, le digital, l’export, etc ».

En conclusion, sans une véritable stratégie d’accompagnement des micro-entrepreneurs, le taux de mortalité des micro-projets demeurera excessivement élevé, et ceux qui survivent ne font que subsister. Une stratégie gagnante doit passer par une synergie parfaite entre le secteur public, les associations de la micro-finance et la société civile, tout en s’inspirant des modèles de réussite existants, à généraliser. 

Malika El Kettani