Tunisie. Mandat d’amener international contre Youssef Chahed

 Tunisie. Mandat d’amener international contre Youssef Chahed

Youssef Chahed

La judiciarisation de la vie politique tunisienne continue de plus belle. Loin de se pacifier, le rapport de l’exécutif à l’opposition ne se conçoit désormais plus qu’à travers la criminalisation et la politique dite « des dossiers ». Une pratique irrationnelle du pouvoir qui s’intensifie à l’approche de l’échéance électorale présidentielle.

C’est dans ce contexte politico-judiciaire de mise en branle d’une machine complotiste paranoïaque et d’une « justice aux ordres » selon la défense qu’ont été émis aujourd’hui pas moins de douze mandats d’amener internationaux, dont un mandat contre l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed qui se trouverait en France depuis plusieurs mois.

Ainsi un juge de l’instruction a décidé d’émettre ces mandats d’amener via Interpol, visant des accusés soupçonnés d’être impliqués dans deux affaires de « constitution d’une entente terroriste » et de l’accusation fleuve de « complot contre la sûreté de l’Etat ».

Si certains noms sont impliqués dans d’autres affaires, le nom de l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed, au pouvoir jusqu’en 2019 avant de se présenter comme candidat à la présidentielle, peut surprendre. Ce dernier entretenait en effet des rapports considérés comme cordiaux avec le chef de l’Etat Kais Saïed qui lui avait même confié une mission pour le représenter à l’étranger en 2020, certes avant le coup de force où Saïed s’était octroyé les pleins pouvoirs.

En 2017, surfant sur la mode locale de l’anti-corruption, Chahed avait lui-même engagé une vaste campagne répressive dans les milieux des affaires, emprisonnant quelques figures high profile dont certains sont encore détenus à ce jour. Il avait alors culminé dans les sondages pour atteindre des scores entre 80% et 90% de satisfaction.

 

Peu de chances d’aboutir

Parmi la nouvelle liste des douze inculpés figurent « d’anciens hauts responsables de l’Etat en état de fuite hors du territoire national », a pudiquement déclaré la porte-parole du Pôle judiciaire de lutte antiterroriste. La même source, Premier substitut du procureur de la République, Hanène Gueddes, a par ailleurs confié révélé certains noms concernés dont ceux de Nadia Akacha, ancienne bras droit de Kais Saïed et directrice du cabinet présidentiel, Mouadh Kheriji, le fils de Rached Ghannouchi, Kamel Guizani, ancien diplomate, et Mustapha Khedher, dirigeant nahdhaoui.

Figurent également dans la liste non exhaustive l’ancien député Maher Zid, l’ancien ministre Ennahdha Lotfi Zitoun, ainsi que Abdelkader Farhat, l’ancien conseiller auprès du la présidence du gouvernement et responsable Ennahdha Adel Daadaa, la journaliste Chehrazade Akacha, ou encore Ali Helioui et Rafik Yahya.

Hanène Gueddes a précisé que l’enquête est toujours en cours afin d’identifier « le reste des prévenus encore en cavale » de sorte d’émettre des mandats d’amener internationaux à leur encontre. Mais selon de nombreux juristes, les accusés se trouvant en Europe pour certains, à Dubaï pour d’autres, ont peu de chances d’être extradés ou inquiétés par une affaire qui « relève davantage de l’effet d’annonce populiste » sur le mode du « tous pourris ».

Pour l’opposition qui dénonce une fuite en avant déraisonnable dans au moins trois dossiers similaires impliquant désormais des dizaines de dignitaires, l’actuel pouvoir doit choisir entre le renoncement à cette politique inquisitoire ou l’obligation d’expliquer aux touristes visitant nos contrées comment l’ensemble de la classe politique est constituée de « terroristes », ce qui rendrait la destination Tunisie plus que dangereuse, ironise-t-on notamment dans le parti de centre gauche Attayar.

 

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Seif Soudani