Une corruption deux poids, deux mesures ?

 Une corruption deux poids, deux mesures ?

Youssef Chahed avec l’USGN


Après une entame fulgurante, la vague d’arrestations semble s’essouffler en ce début du mois saint du ramadan. Mais depuis le début, l’exécutif communique mal autour de l’opération. Huit individus, liés à l’économie informelle pour la quasi-totalité d’entre eux, sont sous les verrous. Un maigre butin selon de nombreux observateurs qui dénoncent une définition à minima de la corruption, qui réduirait les corrompus aux seuls contrebandiers. En somme, une certaine institutionnalisation du mépris de classe.


En matière de politique gouvernementale, on serait tenté de dire « dis-moi qui sont tes supporters, je te dirai qui tu es », tant la « manif de soutien à la guerre contre la corruption » à la Kasbah le 26 mai, devenue en partie une marche de soutien à Youssef Chahed, était édifiante.



 


« Manif de droite »


L’impression est confortée par les « manifestants » en première ligne vendredi après-midi dans ce que certains avaient plus ou moins spontanément annoncé comme « sit-in de soutien à la guerre contre le terrorisme » sur les réseaux sociaux. Au sein de certaines jeunes ONG, le débat a fait rage pour ou contre la participation à ce qui allait manifestement prendre la forme d’un plébiscite du chef du gouvernement.


Ceux qui avaient prédit ce réflexe de la « manif laudative » ne croyaient pas si bien dire. Parmi les slogans les plus visibles (francophones avec plusieurs fautes d'orthographe) : « il faut restituer les biens confisqués détournés par les Frères musulmans », « Chahed va-t-il mettre en prison les corrompus d’Ennahdha », ou encore « la Marsa dit non à la corruption »… Certaines pancartes portant le logo de la campagne « Tamarrod » datent même du sit-in de l’été 2013, qui en concomitance avec la même campagne en Egypte demandait le départ des Frères.   


Malgré les annonces quotidiennes selon lesquelles la Kasbah va procéder à de nouvelles arrestations dans d’autres secteurs (association, presse, et même au sein du gouvernement lui-même), le fait que la liste des personnes arrêtées s’arrête aujourd’hui à 8 individus, dont un seul « high profile » et une majorité de contrebandiers conforte la thèse que nous développions dans nos colonnes dès la semaine passée.   


 


L’arbre qui cache la forêt ?


Aujourd’hui non seulement l’ensemble du patronat, via ses deux pôles de l’UTICA et de la Connect, est en pointe dans le soutien à « la guerre contre la corruption », mais aussi les partis de la droite néolibérale tunisienne dont Afek Tounes et l’UPL de Slim Riahi. Problème, beaucoup de ces patrons ont eux-mêmes des ardoises fiscales non réglées et soutiennent le controversé projet de loi de réconciliation économique, dont la discussion à l’Assemblée vient d’être reportée pour la énième fois aujourd’hui mercredi au 7 juin prochain.     


Par ailleurs de nouvelles photos embarrassantes ont fait surface sur les réseaux sociaux, attestant de liens entre Nidaa Tounes, parti au pouvoir, et certains des huit hommes d’affaires arrêtés, comme ici où l’on voit le président du Parlement Mohamed Ennaceur aux côtés de Néjib Ben Ismail, surnommé « le roi des fruits secs » à Mahdia lors d’une collecte de charité en 2014.


« Je pense personnellement que le problème de la corruption est bien plus complexe qu'il n’y paraît. Il ne s'agit pas seulement de lutter au cas par cas contre la corruption pour en finir avec elle. Parce que,- est-il nécessaire de le rappeler ici ? – dans les pays à parti unique, comme l’était la Tunisie, la corruption n’est pas un accident isolé, une déviation par rapport à la juste gouvernance : elle est un élément fondamental dans la gestion des rapports entre le parti unique et l’État d’un côté, et les agents économiques de l’autre », a commenté l’intellectuel de gauche Gilbert Naccache, sorti de son silence.


Aujourd’hui mercredi le président Béji Caïd Essebsi, jusqu’ici officiellement resté en retrait par rapport à la communication autour des arrestations, a reçu une délégation composée de son fils et chef de son parti Hafedh Caïd Essebsi, ainsi que Sofiène Toubel président du bloc parlementaire Nidaa et proche de l’homme d’affaires Chafi Jarraya, Borhène Besaies l’ancien propagandiste du régime de Ben Ali devenu dirigeant Nidaa, et Khaled Chouket, multi transfuge de plusieurs partis dont un passage par l’UPL.


La réunion au Palais de Carthage est censée « consolider les efforts du gouvernement dans sa guerre contre la corruption ». D’après nos sources, certains députés Nidaa dans l’embarras, auraient en vain tenté d’empêcher que la délégation soit emmenée par Sofiène Toubel. « La scène aurait presque l’apparence d’un montage d’un site satirique », commente-t-on sur Twitter. Signe qu’on matière de crédibilité de toute lutte anti-corruption, le « qui fait quoi » est particulièrement lourd de sens.


 


Seif Soudani


 

Seif Soudani