A Naplouse, la culture occupe le terrain

 A Naplouse, la culture occupe le terrain

crédit photo : Nablus Festival


Au nord de la Cisjordanie, “La Petite Damas” accueillera du 11 au 20 avril la troisième édition de son festival culturel et artistique. Un temps de respiration et de résistance qui reste soumis aux contraintes et aux aléas de l’occupation. 


Cette année, au printemps, les scènes de Naplouse résonneront de sonorités venues du Japon, d’Angleterre, du Chili et des Etats-Unis. Et quelques visiteurs étrangers devraient faire le déplacement “spécialement” pour l’événement. Car, pour cette troisième édition, le Nablus Festival for Culture and Arts entend bien conserver la dimension internationale qu’il a su installer dès son lancement, en 2016. Avec cependant toujours la même épée de Damoclès : “Pour l’instant, le programme n’est pas encore définitivement fixé, ce sera comme chaque année assez tardif. Le seul doute qui perdure, en fait, c’est la situation politique. Ici, c’est comme la météo, on ne peut pas prévoir trop longtemps à l’avance…”, confiait, mi-janvier, Hakim Sabbah, le fondateur et cheville ouvrière du festival. Il est par ailleurs directeur de Project Hope, une ONG palestinienne qui œuvre avec des volontaires internationaux auprès de jeunes dans les camps de réfugiés et dans la vieille ville de Naplouse.


 


Cinéma danois, allemand, musique, danse du Levant…


Comme les années précédentes, les activités sont censées se dérouler de 11 heures à 22 heures dans plusieurs endroits de la ville et dans les camps de réfugiés : expositions d’artistes et de créateurs locaux visibles en matinée, films et conférences l’après-midi et un concert tous les soirs, à partir de 19 heures.


Musiciens, peintres, groupes de “dabkeh”, la danse traditionnelle du Levant : la culture et les artistes palestiniens – de Cisjordanie, puisque les habitants de la bande de Gaza demeurent cantonnés à leur territoire – sont au cœur de la programmation du festival. Et les conférences tournent en général sur des thématiques historiques et/ou politiques propres à la question palestinienne. Cela a été particulièrement le cas lors de l’édition 2017, année du centenaire de la naissance de la poétesse Fadwa Touqan, et des 70 ans de l’adoption par l’ONU du plan de partage de la Palestine. Pour autant, l’idée est bien de donner à la population la possibilité d’accéder à un autre horizon que celui tracé par les checkpoints qui cernent la cité. En 2016, les spectateurs ont ainsi pu découvrir le cinéma allemand et, l’an dernier, la production danoise. Cette année, ce pourrait être le cinéma canadien. Le festival entend “créer une dynamique culturelle et un espace permettant la rencontre d’artistes locaux et internationaux”.



Un “vrai soutien du public”


Cette alliance du local et de l’international a rapidement trouvé son public. “En général, on fait le plein, assure Hakim Sabbah. L’amphithéâtre de l’université contient 1 000 places et, l’an dernier, nous l’avons rempli à deux reprises. Idem pour un espace dans la vieille ville, lequel peut accueillir 400 personnes. Avec un impact sur l’économie locale : en 2017, on a rempli cinq hôtels à Naplouse.” Proposé sur huit jours la première année, et seize journées l’an passé, jugé “trop long”, l’événement culturel, qui livre aussi des rendez-vous dans les villages alentour et à Hébron, espère pour cette édition trouver sa bonne durée, idéalement sur une dizaine de jours. “Il y a un vrai soutien du public dans la ville, les gens me demandent régulièrement si le festival sera réédité, à quel moment, avec quelle programmation…”, se félicite Hakim Sabbah.


Car, durant les vingt dernières années, Naplouse n’a pas souvent eu le loisir de s’adonner en toute liberté aux plaisirs des arts et de la création. Etirée dans son étroite vallée du nord de la Palestine, entre le mont Ebal et le mont Gerezim, là où vivent les Samaritains, cette cité antique, avec plus de 140 000 habitants, est la plus peuplée de Cisjordanie et l’un de ses poumons économiques. Durant la seconde intifada (2000-2005), le gouvernement israélien l’avait qualifiée de “capitale du terrorisme”. Et, au regard du degré de violences des affrontements, ses camps de réfugiés (dont celui de Balata, le plus ancien) arborent toujours les stigmates de l’occupation israélienne : impacts de balles sur les façades, portraits de “chahid” affichés dans les ruelles étroites. Dans ce contexte tendu, le Nablus Festival ouvre une fenêtre sur la culture grâce à une mobilisation militante et bénévole conséquente. “On compte sur une cinquantaine de volontaires qui ont maintenant l’habitude de cette organisation”, explique le fondateur.


Comme en 2017, le budget global devrait tourner “autour de 50 000 dollars” (environ 42 000 euros). L’argent vient essentiellement de financements participatifs, de la Fondation AM Qattan (1), ainsi que de quelques partenariats locaux (sociétés et commerces de Naplouse) et internationaux (jumelage avec la ville de Lille, soutien de l’association France Palestine Solidarité). Mais les autorités ne semblent pas s’investir à la hauteur de la symbolique de l’événement. L’aide promise l’an dernier par le ministère de la Culture n’a pas été versée, et du côté de la municipalité, la donne a changé avec l’élection d’une équipe Hamas-Fatah en mai. “On a un peu le sentiment qu’ils s’intéressent moins à la culture que l’équipe précédente, il y a une forme de désengagement sur cet enjeu”, déplore sobrement Hakim Sabbah.



Un “marathon” long de 11 kilomètres !


Pourtant, la dimension politique du festival n’est pas négligeable. Seul rendez-vous de ce type au nord de la Cisjordanie, le Nablus Festival est “à la fois un événement culturel et un espace de résistance. De toute façon, en Palestine, on ne peut rien dissocier du politique…” A l’image du marathon, inauguré l’an dernier, et qui devrait être renouvelé cette année : “Il se déroule d’un checkpoint à l’autre, sur environ onze kilomètres, explique Hakim Sabbah. En réalité, c’est donc un quart de marathon. La volonté de s’en tenir à cette distance tronquée, à cette épreuve amputée, est que nous refusons de tourner en rond comme veulent nous y contraindre les checkpoints autour de la ville. Il y en a sept ou huit ; comme l’an dernier, nous en choisirons deux et les coureurs les rallieront pour montrer que l’occupation nous confine dans un espace restreint.” 


(1) Abdel Mohsin Al-Qattan, un entrepreneur palestinien qui a fait fortune dans le Golfe dans les années 1960, a créé en 1993 cette fondation pour la culture et l’éducation en Palestine. Ce mécène est mort à Londres, le 4 décembre 2017, à l’âge de 88 ans.


MAGAZINE FEVRIER 2018


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Emmanuel Rionde