Ahed Tamimi, la jeune Palestinienne qui gifla des soldats

 Ahed Tamimi, la jeune Palestinienne qui gifla des soldats

Crédit photo : Nejma Brahim


LE CONTEXTE


Son attitude est celle d’une adolescente, son propos celui d’une adulte. Le mélange est déroutant. En seulement quelques mois, Ahed Tamimi est devenue une figure incontournable du conflit israélo-palestinien et représente, du haut de ses 17 ans, une jeunesse révoltée contre un système injuste et inhumain, mais pourtant établi. Crinière de lion et regard perçant, elle raconte son quotidien et son expérience en prison pour mieux sensibiliser le monde entier aux difficultés auxquelles le peuple palestinien est confronté.


Le 6 décembre 2017, le président des Etats-Unis, Donald Trump, déclare reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. L’annonce crée la polémique et laisse place à une vague d’indignation internationale, notamment chez les opposants à l’occupation et à la colonisation de la Palestine. Le 15 décembre, alors qu’un mouvement de contestation éclate à Nabi Saleh, près de Ramallah, une jeune fille se fait remarquer en bousculant et giflant deux soldats israéliens appuyés sur un muret dans la cour de sa maison. L’une des autres raisons de sa révolte ? Le jour même, son cousin de 15 ans est touché à la tête par une balle en caoutchouc tirée par un soldat. Diffusée sur les réseaux sociaux, la vidéo de la gifle est virale. L’adolescente s’appelle Ahed Tamimi et devient vite un symbole de la résistance palestinienne. Arrêtée par l’armée israélienne et présentée devant un tribunal militaire, elle est condamnée à huit mois de prison. Une pétition internationale de soutien recueille alors plus de 1,7 million de signatures.


J’ai grandi à Nabi Saleh, un ­village engagé dans la lutte contre l’occupation et la colonisation de la Palestine. J’ai eu une enfance extrêmement difficile. D’abord, ma mère a été blessée par balles par l’armée israélienne sous mes yeux. J’ai aussi vu mon oncle, puis mon cousin, mourir devant moi. Et j’ai passé la plus grande partie de mon enfance sans mon père, parce qu’il était en prison. Il a été arrêté neuf fois par les Israéliens. La Palestine est sous occupation et ce n’est pas normal. Nous essayons de vivre comme les autres, malgré cette situation. Mais en réalité, c’est impossible. Certaines nuits, les soldats israéliens tentent de s’introduire chez nous. Ils ont déjà essayé d’entrer par la fenêtre de ma chambre. Quand j’allume la télévision, j’entends parler de bombardements à Gaza ou j’apprends le décès d’une connais­sance. Quand je veux me changer les idées, je sors dans mon jardin, avant de trouver les colons dans la cour, chez moi.


 


Le fond du problème ? L’occupation


C’est très compliqué pour moi de suivre ma scolarité. Je dois passer deux checkpoints pour aller à l’école. Si l’un d’eux est fermé, je ne peux tout simplement pas m’y rendre. Il arrive aussi qu’on me confisque mes papiers d’identité pour m’empêcher d’y aller. Lorsque je participe à des manifestations non violentes, je reçois souvent un appel de ma mère pour me dire qu’un proche a été blessé ou arrêté. Voilà à quoi ressemble notre quotidien. Il n’y a pas d’âge pour prendre conscience de cela. Tout enfant qui naît en Palestine connaît de fait l’occupation. Au-delà de la violence, des arrestations ou des colonies, le fond du problème, c’est l’occupation générale. Je pourrais aller m’installer à Ramallah, où il n’y a pas autant de désagréments, mais je n’oublie pas d’où je viens.


Il y a eu un grand battage médiatique à mon sujet. Je pense qu’il faudrait qu’il en soit de même pour tous les prisonniers palestiniens. Certains médias étrangers racontent la vérité, d’autres pas. Ma mère et moi tenons à partager notre expérience de la prison. Ce sont des conditions de ­rétention insupportables, entre les interrogatoires, l’isolement et la violence… La cellule d’isolement est tellement petite qu’on ne peut même pas bouger. Après mon interpellation, j’ai subi quatre interrogatoires en seize jours. Ils m’ont interdit de dormir. Ils m’ont interrogée sans la présence d’une femme soldate, alors que c’est obligatoire. J’étais seule, sans avocat et sans mes proches. Ils tentaient de m’intimider par la séduction en me disant que j’étais jolie et que j’avais de beaux yeux.


 


Le traumatisme de la prison


J’ai écopé d’une peine de huit mois à la prison Hasharon. Nous étions cinq dans ma cellule, alors qu’elle ne peut accueillir que deux personnes. Nous n’avions presque pas d’air. Les visites des proches sont interdites, et les rares personnes qui ont une autorisation n’ont droit qu’à deux visites par mois. Pendant toute mon incarcération, je n’ai eu aucun moyen de communiquer avec ma famille. C’est très dur psychologiquement… On perd notre liberté, et on voit des prisonnières blessées ou torturées, à qui aucun soin n’est prodigué. On n’a pas le droit de s’exprimer, ni même de dessiner. Et tout ça n’est qu’une partie des souffrances que vivent les prisonniers politiques là-bas. Mon frère s’est fait arrêter pour la troisième fois. Il lui reste neuf mois à purger.


 


Une lourde responsabilité


Quand je repense à ce geste, je me dis que si c’était à refaire, je recommencerais. C’était un geste légitime, ce soldat était chez moi ! En fait, c’est symbolique : il ­représentait le pouvoir, et ce coup l’a affaibli. La médiatisation qu’il y a eue autour de mon acte a permis de transmettre un message au monde entier. Et tant mieux, car s’il avait été bien porté, la Palestine aurait été libérée depuis longtemps. Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a une scission au sein des différents gouvernements.


On me décrit depuis comme une icône de la résistance non violente : c’est une lourde responsabilité pour moi. Je suis toujours sous contrôle judiciaire et chaque propos peut me renvoyer en prison. J’espère pouvoir continuer à porter ce message et être à la hauteur de cette responsabilité. J’espère aussi qu’il y aura d’autres symboles, notamment ceux qui résistent par la littérature, la poésie, le dessin, de manière à ce que l’on soit encore nombreux à élever nos voix.


Si nous faisons cette tournée en France aujourd’hui (Fête de l’Huma à Paris, en septembre, mais aussi Nantes, Grenoble et Nancy, ndlr), c’est pour alerter les citoyens sur ce qu’il se passe réellement en Palestine. Qu’ils sachent que nous vivons dans la souffrance et la violence. Mais qu’ils sachent surtout que nous ne sommes pas des victimes. Nous sommes des combattants pour la liberté, et le monde doit nous voir comme des partenaires et lutter avec nous. Plus tard, je voudrais étudier le droit international. Ça me donnera les moyens de défendre les droits humains des Palestiniens auprès des tribunaux ­internationaux. Il y a toujours de l’espoir. Il n’y aura pas de paix dans le monde tant qu’il n’y aura pas de paix en Palestine.” 

Nejma Brahim