Le business de la sécurité

 Le business de la sécurité

crédit photo : Xavier Leoty/AFP


Si le secteur de la sécurité se développe depuis les années 2000, la période post-attentats a fortement accru la demande. Le marché est en pleine expansion. 


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


 


Après la vague d’attentats en France, le marché de la sécurité privée a connu une embellie et la demande en agents privés a nettement augmenté. Selon l’Insee, la hausse a atteint 3,5 % et a entraîné un recrutement massif de professionnels dans les zones industrielles, grands magasins, salles de spectacle, ou à la SNCF… “Dès le lendemain d’un acte terroriste, la demande pour renforcer les dispositifs de sécurité, agents, vidéoprotection, portiques de sécurité, se fait de manière brutale, désordonnée et excessive”, constate Olivier Duran, directeur de la communication du ­Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes).


Puis, quelques semaines plus tard – trois mois en général – on en revient au niveau antérieur de commandes, hormis dans ­certains secteurs spécifiques. “Disneyland Paris a par exemple pérennisé son dispositif post-attentats. Aujourd’hui, l’impact sur le volume ­d’affaires oscille autour de 1 à 2 % de plus qu’auparavant”, estime Olivier Duran. Difficile pour les entreprises de sécurité de répondre à une demande aussi fluctuante sur des périodes assez courtes, alors qu’en parallèle elles sont soumises à ­d’importantes contraintes en matière de recrutement et de ­formation de leurs agents.


 


Un métier strictement réglementé


D’autant que l’exercice du métier est strictement réglementé et contrôlé par le Conseil national des activités privées de ­sécurité (Cnaps), un organisme public dépendant du ministère de l’Intérieur. Pour exercer, l’entreprise doit obtenir une autorisation, et ses dirigeants et ses agents sont dans l’obligation de ­détenir une carte professionnelle. Elle est délivrée sur présentation d’un certificat de qualification de 170 heures. “Grâce à l’intervention du Cnaps, la branche a fait d’importants efforts de moralisation et de professionnalisation ces dernières années, remarque Philip Alloncle, délégué aux coopérations de sécurité (lire son interview ci-dessus). Il lui faut à présent améliorer son ­attractivité en matière de rémunération si elle veut être en ­mesure de répondre à la demande de demain.”


Pas si simple de tendre vers cet objectif. “Les exigences sont fortes à l’égard de notre secteur et les règles du marché peu ­rentables ne sont pas à son avantage”, regrette Olivier Duran. Le marché est extrêmement concurrentiel. Les prestations des ­entreprises sont achetées à bas prix, et on constate même une baisse des tarifs depuis les attentats, malgré un champ d’intervention particulièrement sensible, celui du domaine régalien. En conséquence, les faibles marges financières de ces sociétés privées les contraignent à limiter la rémunération des agents, environ 1 500 euros bruts par mois pour un débutant.


 


L’impact de la transformation numérique


D’autant que l’exigence en matière d’innovation et d’investissement s’intensifie. “La transformation numérique impacte par exemple les activités qui accompagnent l’intervention humaine”, pointe Thierry Delville, délégué ministériel à ces industries de sécurité. S’agissant justement de la sécurité des personnes, cela se traduit par des dispositifs de vidéo avec reconnaissance des formes ou des couleurs, des plaques d’immatriculation, ou ­encore de détection précoce de mouvements. La robotique et l’usage de drones sont aussi de plus en plus sollicités. “Mais si on ne paye pas les entreprises au juste prix, elles ne peuvent pas améliorer leurs prestations ni augmenter les salaires, rebondit ­Olivier Duran. C’est un véritable cercle vicieux !” 


 


PHILIP ALLONCLE, Délégué aux coopérations de sécurité depuis 2016


“La commande publique représente environ 25 % de la demande”


Quels sont les effets des récents attentats sur le secteur de la sécurité en France ?


Il est incontestablement sous-tension. Les sociétés peinent à recruter. Le turn-over y est considérable. Mais la course au moins-disant financier fait souffler un vent mauvais sur toute la branche. Les donneurs d’ordres ou acheteurs de prestations doivent en prendre conscience. La puissance publique va ­d’ailleurs inciter à une veille qualitative du secteur, sinon les lois du marché risquent de le tirer vers le bas. D’autant que l’acti­vité a acquis une véritable reconnaissance lors de l’Euro 2016 de football en déployant 13 000 agents – l’équivalent de l’ensemble des compagnies CRS du pays – et a relevé le pari de missions ­délicates comme le filtrage-palpation.


Qu’en est-il du recours aux entreprises privées dans le ­secteur public ?


La commande publique représente environ 25 % de la demande. Désormais, il n’est pas rare que des préfectures, et même certains sites de la police nationale, soient gardés par des sociétés privées. Mais on est loin des pratiques de certains de nos voisins qui les utilisent pour la surveillance des centres de rétention administrative ou des prisons.


A quels enjeux êtes-vous confrontés ?


De nouvelles prestations en matière de vidéosurveillance voient le jour. Cela pose des questions juridiques, mais aussi économiques. Est-ce à l’Etat de financer le déploiement d’un tel matériel ?


Quelles sont les exigences en matière de recrutement des professionnels de la sécurité ?


Au-delà du cursus de la certification de qualification professionnelle, l’examen des antécédents s’impose plus que jamais avant l’octroi d’une carte professionnelle. C’est la condition sine qua non si nous voulons que ce secteur se voit attribuer de nouvelles prérogatives, surtout avec les projets à l’étude : port d’arme, périmètre de protection, valeur juridique de la déposition de l’agent privé en qualité de témoin, etc. Par ailleurs, à compter du 1er janvier 2018, une obligation de formation continue de 31 heures sera exigée pour obtenir le droit d’exercer les cinq années suivantes. A défaut, l’agent ne pourra bénéficier du renouvellement de sa carte.


 


EN CHIFFRES


On recense 160 000 agents de sécurité en France. Parmi les leaders du secteur, Securitas comptabilise 17 000 agents. Quarante autres établissements ont plus de 500 salariés. Mais la moitié des entreprises du secteur comptent moins de 10 employés. Un organisateur d’événement majeur se doit de consacrer environ 30 % de son budget aux questions de sécurité. Source : délégation interministérielle aux coopérations de sécurité et Snes.


 


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Yves Deloison