Pour un refus d’inscrire deux étudiantes en Niqab, la Faculté de Sousse attaquée par des salafistes

 Pour un refus d’inscrire deux étudiantes en Niqab, la Faculté de Sousse attaquée par des salafistes

Depuis avril dernier

Ce qui aurait pu être un simple fait divers à Sousse a failli tourner au drame : le refus opposé à deux jeunes femmes pour une inscription à la Faculté des Lettres de Sousse a entraîné de graves représailles de la part d’éléments salafistes armés.

De graves incidents ont eu lieu mercredi et hier jeudi à la Fac des lettres de Sousse en Tunisie, lorsqu’une trentaine de salafistes menaçants et selon des témoins armés, ont fait irruption dans l’enceinte de la fac et se sont dirigés, menaçants, vers le bureau du doyen. Au cours de l’après midi, ils ont été expulsés de l’enceinte universitaire. Des poursuites judiciaires ont été engagées.

Début octobre coïncide en cette première année scolaire et universitaire post révolution en Tunisie avec une rentrée tardive, perturbée par endroits, mais globalement effectuée dans des conditions normales à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, si ce n’était les événements de la journée d’hier mercredi 5 octobre.

La semaine dernière, deux jeunes étudiantes se présentent, portant toutes deux le niqab, au service des inscriptions de l’institution, et ce au mépris de la circulaire émise par Taïeb Baccouche, ministre de l’Education ainsi que son homologue à l’Enseignement supérieur, interdisant strictement le port du niqab dans les établissements éducatifs dès avril dernier.

Devant les explications du personnel administratif au sujet de l’impossibilité de les inscrire, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, les deux étudiantes semblent obtempérer dans un premier temps, du moins elles décident de ne pas s’inscrire.

Selon le récit du doyen de la faculté Moncef Ben Abdejellil, l’une d’elles décide de revenir le solliciter quelques jours plus tard, la matinée du mercredi 5 octobre, escortée cette fois de deux hommes barbus spécialement venus de la capitale Tunis. Elle invoque sa « liberté de culte » et fait valoir ses « droits religieux » afin de justifier la nécessité pour l’établissement de l’inscrire, non sans une certaine volonté d’intimidation dans le ton et dans la méthode menaçante employée.

Devant le second refus du doyen, les deux hommes servant de gardes du corps à l’étudiante eniqabée tentent de prendre à témoin d’autres étudiants et de les rassembler autour d’eux pour faire bloc et vandaliser la faculté « si nécessaire ». Une majorité d’étudiants s’opposent alors à eux et les reconduisent à la sortie.

Quelques heures plus tard, vers 14h00 et après que le doyen ait quitté les lieux, les deux hommes décident de revenir à la charge après avoir appelé à la rescousse un groupe de quatre salafistes. Là, ils demandent à voir le doyen. Devant le constat de son absence, les assaillants qui, selon les témoins, étaient armés de bombes lacrymogènes et d’armes blanches, se dirigent vers le bureau du secrétaire général et le menacent verbalement en arborant leurs épées accrochées à leurs ceintures.

Ce jeudi en milieu d’après midi, Faïza Zouaoui Skandrani, présidente de l’association Egalité et Parité, avait posté le message suivant sur le mur de l’association :

« Le doyen vient de dire à une collègue, Neïla Sellini, qu’il est enfermé dans son bureau et que 30 salafistes munis de couteaux menacent de l’égorger… Ni le Ministre de l’Enseignement Supérieur, Rafaat Chaabouni, ni le Recteur de l’université de Sousse n’ont réagi et n’ont fait appel ni à la police ni à l’armée ».

En fin d’après-midi, nous avons obtenu le récit d’un membre du corps enseignant : « Les salafistes sont comme promis revenus aujourd’hui, mais avec 30 salafistes et un imam. Les étudiants se sont interposés, et le doyen n’a dû son salut qu’à leur intervention pour leur barrer la route vers son bureau. Ils ont occupé la fac pendant 3 heures, ils viennent de la quitter mais la situation reste floue ».

« Il y a eu réunion des professeurs qui ont décidé des points suivants :
 – Engager des poursuites judiciaires contre ces gens.
 – Faire appel à une société de sécurité privée (Sogegat) pour assurer à l’avenir la sécurité de la fac.
– Dénoncer dans les médias l’absence du recteur de l’Université de son bureau qui leur fait déduire que le pays fonctionne désormais sans institutions. »

Depuis la révolution du 14 janvier, la police universitaire qui a été installée dans l’enceinte-même des facultés a été supprimée et ses membres réaffectés. Cet incident a été l’occasion de constater que la faculté des Lettres de Sousse est un exemple de faculté prenant en charge sa propre sécurité, étudiants et professeurs ayant fait barrage avec une attitude républicaine exemplaire, refusant de se laisser intimider.

Selon nos contacts sur place, ces derniers ont néanmoins menacé de faire grève, dans un communiqué affiché depuis ce matin sur les murs de la fac, si leur intégrité physique venait à être mise en danger à l’avenir par le laxisme des autorités locales qu’elles accusent de laisser en liberté de tels éléments criminels. Le document réaffirme par ailleurs les principes non négociables ayant trait à la nature-même de l’apprentissage et de la transmission du savoir qui ne saurait s’effectuer en oblitérant l’identité des apprenants derrière des signes religieux ostentatoires perturbant la sérénité des salles de classe.

Seif Soudani

Seif Soudani