Tunisie – Premier meeting du PDM Une grande ambition, un avenir incertain

Malgré la chaleur accablante de cet après-midi du samedi 18 juin, presque 2.000 participants selon les organisateurs (plus proche d’un millier selon nous) ont donc assisté au premier meeting quasi fondateur du Pôle Démocratique Moderniste (PDM), une initiative rassemblant plusieurs partis (plutôt petits comme on le verra) et dont la création répond à un double constat. Politico-idéologique d’abord : face à la déferlante islamiste incarnée par la vague du très populaire parti islamiste Ennahdha au lendemain de sa légalisation, et en l’absence de pédagogie laïque des années durant, les forces progressistes et républicaines ont pris conscience de l’urgence d’une action coordonnée pour promouvoir des idées de la gauche des valeurs : laïcité, universalisme, Etat de droit, etc.

Electoraliste et plus politicien est le second constat ayant précipité la création d’une telle entité : étant donnés les signaux alarmistes envoyés par les sondages en défaveur des nombreux mais divisés petits partis non islamistes, s’est imposée la pragmatique nécessité de faire front commun afin de faire barrage aux partis incarnant la réaction, au sens politique du terme, si l’on espère contrer efficacement dans les urnes le raz-de-marée attendu d’Ennahdha et de ses partis satellites, lui qui a une longueur d’avance en termes d’alliances étant déjà depuis un moment en pourparlers, selon nos informations, avec le non négligeable CPR de Marzouki.

 

Un ton plutôt conciliant

Fini donc l’appellation initiale de « Front » progressiste, vraisemblablement  jugée trop belliqueuse et hostile à l’égard de l’électorat de la droite religieuse. En ouvrant la séance, Riadh Ben Fadhl, un indépendant membre fondateur du PDM, a commencé par présenter ce qu’il a qualifié d’ « impétueuses priorités ». Après une énumération d’objectifs assez généraux et consensuels relevant de la séparation des pouvoirs, de plus de justice sociale et de la lutte contre les restes du ex RCD au pouvoir, ainsi qu’une mise en garde contre les tentatives de diffamation (rumeurs calomnieuses selon lesquelles le pôle compterait justement quelques anciens cadres du RCD démantelé), après cette intro donc, il en est venu au cœur de son propos, en ouvrant les hostilités contre les dérives inhérentes, en clair et malgré toutes les précautions oratoires, à l’islam politique. Ainsi a-t-il martelé la condamnation ferme par le Pôle de l’utilisation politique des lieux de culte qui en ont fait des tribunes organes de certains partis aux méthodes douteuses, en réitérant la volonté de son rassemblement de faire bloc contre le mélange foncièrement malsain entre le politique et le religieux, parallèlement au pari qu’il fait sur la jeunesse et la nécessité de l’émergence d’une nouvelle génération de leaders politiques (allusion à la vieillissante classe dirigeante qui préside au gouvernement de transition).

Deuxième à s’exprimer, mais probablement incontournable premier en termes d’importance au sein du pôle en raison de son poids politique, Ahmed Brahim, leader d’Ettajdid, parti de gauche social-démocrate, fait régulièrement face à des soupçons d’exploitation du Pôle à des fins politiques, en tant que représentant du plus gros des partis de cette coalition, eux qui à l’évidence avaient tout à gagner à une telle union, les échéances électorales étant proches et leur taille étant de l’ordre des micro partis périphériques des partis traditionnels de la gauche tunisienne (Ettajdid a bientôt un siècle d’action si l’on prend en compte sa présence sur la scène politique sous ses différentes formes). Il a donc répondu aux critiques, tout en prenant soin de ramener le débat à la question de la modernité et de philosophie du PDM, apparaissant comme son véritable idéologue d’une part, adepte du consensus d’autre part.

Lâché par les grands

Pourtant, sur un plan plus strictement politicien, les calculs électoralistes ont sans doute fait que le Pôle n’a pas suscité un enthousiasme débordant de la part de partis plus gros en taille, même à gauche, à l’image du PDP, certainement conscient du fait qu’il avait plus à perdre en se mettant potentiellement à dos un frange de son électorat centriste voire conservateur mais anti Ennahdha. Najib Chebbi, sollicité par le PDM lorsque celui-ci était encore à l’état de projet, déclina l’invitation, lui qui entend ratisser large et, pour ce faire, éviter les questions qui fâchent et les sujets qui divisent encore les tunisiens, y compris le progressisme et la modernité sociétale à l’abri des considérations identitaires.

Afek Tounes, parti libéral de centre droit, sollicité lui aussi et encore en pourparlers selon un communiqué du PDM, n’est quant à lui pas intéressé pour d’autres raisons : au regard de ses positions conservatrices au sujet de l’article 1 de l’ancienne constitution consacrant l’identité éminemment arabo islamique de la Tunisie, il n’a sûrement pas assez d’affinités idéologiques avec un tel pôle pour y adhérer fondamentalement, avant même de parler d’intérêts plus électoralistes.

Du coup, des 11 partis initialement prévus, il n’en reste plus que sept à ce jour réellement signataires et engagés au sein du PDM, de la gauche de la gauche au centre, c’est donc essentiellement Ettajdid, l’Alliance républicaine, la Voix du Centre et le Parti du Travail Patriote Démocratique étant les plus significatifs en termes de base populaire (les partis écologistes sont encore embryonnaires en Tunisie). Ce qui laisse augurer d’un avenir incertain pour une œuvre ambitieuse sur le papier, mais déjà minée par des conflits internes, à l’image des querelles de personnes et de leadership, ou encore du Mouvement des Patriotes Démocrates, distribuant des tracts à l’entrée pour se justifier de son retrait précoce, tel une erreur de casting, le PDM n’insistant pas assez à son goût sur la défense de la cause palestinienne. La surenchère sur cette question de l’antisionisme n’a décidément pas fini de parasiter le débat politique en Tunisie qui en avait d’autant moins besoin qu’il est naissant et fragile à l’épreuve des populismes.

Seif Soudani

 

 

 

Seif Soudani