Samir Elyes du comité Adama revient sur ses « propos polémiques »

 Samir Elyes du comité Adama revient sur ses « propos polémiques »

Crédit photo Nnoman

Ce samedi 20 mars avait lieu à Paris la Marche des Solidarités, un rassemblement contre le racisme et les violences policières. Le comité Adama était présent. A la fin de la manifestation, les propos de Samir Elyes, membre du comité Adama, ont déclenché une vive polémique. Ce dernier y dénonçait entre autres « une justice française raciste », affirmant qu’un « traitement particulier était réservé aux familles noires et arabes » et que la justice délivrait aux policiers « des permis de tuer ».

« Un concentré de haine » envers la police et la justice française, s’est indigné David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).

Pour ses propos, Samir Elyes fait l’objet d’une enquête préliminaire du parquet de Paris, pour « injure publique envers une administration publique », selon une information du Point. Sollicité par de nombreux médias, Samir Elyes a refusé toutes les demandes d’interviews. Il a accepté de nous répondre.

 

LCDL : Samedi dernier, à la fin de la manifestation à Paris, vous avez scandé que la justice française était raciste, qu’un traitement particulier était réservé aux familles noires et arabes et qu’elle délivrait aux policiers des permis de tuer. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendiez par-là ?

 

Samir Elyes : Depuis la création des grands ensembles dans les années 60, la grande majorité de ceux qui se sont fait tuer par les forces de l’ordre sont des Arabes et des Noirs, des Français issus de l’immigration, comme l’a répertorié dans une enquête le magazine Bastamag.

Des drames qui sont étroitement liés à l’histoire coloniale de la France. C’est d’ailleurs ce qu’explique la sociologue Rachida Brahim dans son livre « La race tue deux fois ».

Quand je dis que la justice délivre des « permis de tuer » à la police, je fais référence aux nombreux non-lieux et acquittements rendus par la justice, pour des crimes commis par les forces de l’ordre, dans les quartiers populaires. En 2020, Bastamag révélait que deux tiers des affaires de crimes policiers ne débouchaient sur aucun procès.

Un des derniers exemples en date, est l’affaire Gaye Camara où malgré une enquête sérieuse menée par le média d’investigation Disclose, démontrant que le policier auteur du tir, n’était pas en état de légitime défense, un non-lieu a été prononcé.

Quand je parle de « justice négrophobe », il n’y a qu’à regarder les traitements judiciaires autour de l’affaire Adama Traoré et aussi d’autres jeunes hommes noirs tués ces dernières années par la police. Dans l’affaire Adama Traoré, cinq ans après les faits, les gendarmes n’ont toujours pas été mis en examen.

Depuis 40 ans, la méthodologie est la même : criminalisation de la victime, de la famille et de ses soutiens, mensonges des autorités. Quand je parle d’un traitement spécifique pour les victimes issues des minorités, je parle de cela.

Vous avez dit également que vous ne vouliez pas que « les policiers entrent dans les quartiers ». De quels policiers parlez-vous ?

Je parle de la BAC et de la BST (NDLR : Brigades spécialisées de terrain) qui ont été mises en place spécifiquement dans les quartiers populaires. Ils mènent une politique du chiffre. Depuis longtemps, nous sommes nombreux à demander leur dissolution. Une demande qui ne date pas d’hier ! Elle apparaissait dans le programme de José Bové lors de sa candidature à l’élection présidentielle de 2002.

Aujourd’hui, les jeunes hommes des quartiers populaires sont confrontés à des fonctionnaires de police de 30 ans. Ils sont nombreux à ne pas cacher leur sympathie pour des idéologies d’extrême droite. Il n’y a qu’à lire les enquêtes de Streetpress ou Mediapart à ce sujet. Nombre de ces fonctionnaires considèrent les jeunes des quartiers populaires comme des ennemis de la République.

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Selon vous, 80% des policiers seraient racistes. D’où tenez-vous ces chiffres ?

Les chiffres varient selon les études, mais je persiste et signe qu’une majorité de policiers en France est raciste. Une étude publiée dans Slate indiquait qu’en 2016, 7 policiers sur 10, 70% !, prévoyaient de voter pour le Rassemblement national pour l’élection présidentielle 2017.

D’autres études parlent de 54% de policiers qui auraient voté pour Marine Le Pen à la présidentielle. En 2017, une étude du Défenseur des droits révélait que les jeunes perçus comme noirs ou arabes avaient 20 fois plus de chance de subir un contrôle policier que le reste de la population.

Je n’invente pas, les études parlent. Depuis trop longtemps, les politiques sécuritaires sont dirigées contre les habitants des quartiers populaires.

Comprenez-vous que vos propos puissent choquer certains ?

On peut être en désaccord avec mes propos, mais être choqué, c’est être déconnecté de la réalité ! Dois-je vous rappeler l’affaire des groupes WhatsApp révélée en octobre dernier par Streetpress, où on apprend que près de 20 000 fonctionnaires échangeaient des propos racistes, homophobes et j’en passe.

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Pour les syndicats de police, vos propos, en plus d’être « diffamants », seraient une « incitation à la haine ». Qu’en pensez-vous ?

Ils sont dans leur rôle. Je ne fais que relater des faits. Les syndicats policiers nient l’évidence. Comment plusieurs fonctionnaires peuvent humilier, frapper des gamins de moins de 20 ans, sans avoir à en rendre des comptes par la suite ?

Comment pouvons-nous tolérer que lors de descentes de police dans les quartiers populaires, cela se transforme trop souvent en punition collective ? Comment expliquer que des personnes meurent lors d’un simple contrôle policier

La hiérarchie couvre ces crimes, et les collègues témoins de ces faits, se taisent, voire couvrent leurs camarades à base de faux témoignages.

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Comment pourrait-t-on, selon vous, réconcilier la police avec cette partie de la population qui les déteste ?

Je pense que la priorité est d’abord de restaurer le dialogue avec les élus, les politiques et les travailleurs sociaux. Tout ce qui a été détruit au profit du sécuritaire. Et puis, il n’y aura pas d’ordre sans justice. La réconciliation aura lieu quand il y aura égalité de traitement. Pas de justice, pas de paix.

Quand on condamne des jeunes à juste titre pour avoir commis des crimes, nous demandons des sanctions identiques à l’égard des fonctionnaires poursuivis pour des crimes ou des mutilations dans le cadre de leur fonction. On demande juste à ce que la justice soit la même pour tous.

Pourquoi avoir refusé l’invitation de Cyril Hanouna qui souhaitait vous avoir dans son émission ?

J’ai refusé son invitation car souvent dans ce genre de débat avec de très nombreux intervenants, on se perd. C’est un sujet grave qui déchaine les passions et qui mérite un débat posé.

Nadir Dendoune