Tunisie. Carthage et le complot total

 Tunisie. Carthage et le complot total

En convoquant le soir du lundi 15 avril 2024 le Conseil de sécurité nationale, Kaïs Saïed a étendu le domaine des attributions de ce Conseil sécuritaire, en présence de généraux de l’armée, à des champs nouveaux tels que celui de la réconciliation pénale avec les hommes d’affaires, mais aussi à certains faits divers tels que les rixes entre bandes de quartiers rivaux.

 

Premier constat, la présence inédite en effet à cette table de la magistrate fraîchement nommée à la tête de la Commission nationale de conciliation pénale, un processus récemment amendé et que le chef de l’Etat estime donc désormais faire partie de la sûreté nationale, malgré les sommes dérisoires récupérées à ce jour via ce mécanisme auprès des businessmen soupçonnés de corruption.

Lors du préambule documenté en vidéo de cette réunion, le président de la République a d’abord abordé des fléaux qu’il juge « anormaux » comme la violence dans certains quartiers et les altercations à l’arme blanche quasi-quotidiennes ainsi que le trafic et la consommation de drogues dans le milieu scolaire. « Le but est de réduire l’État en miettes afin de le diviser » : c’est en ces termes égocentriques que le président Saïed explique donc cette recrudescence de la délinquance qui viserait selon lui indirectement son règne, spécifiquement en cette période pré-électorale. Des bagarres qui ont conduit la semaine dernière à la mort d’un jeune de 14 ans.

 

Le logiciel de gouvernance sombre dans le complot permanent

Réagissant aujourd’hui à ces propos, le sociologue Maher Hanin déplore une profonde incompréhension du phénomène des émeutes dans les quartiers pauvres : « Tout ramener de la sorte à une conspiration contre le pouvoir, c’est une façon en amont pour ce pouvoir d’anticiper des solutions non démocratiques : tenter d’asseoir un totalitarisme de l’Etat y compris dans les quartiers populaires, une façon aussi de se dédouaner de tout échec de sa propre politique sociale ». « Il s’agit de criminaliser toute protestation sociale dans les quartiers, en l’assimilant à une forme de complot, un classique des pouvoirs autoritaires, là où on louait ces mêmes explosions sociales lors des évènements de la révolution », ironise l’éditorialiste Hassen Ayadi.

Sans transition aucune, le président de la République est revenu ensuite sur l’affaire des opposants politiques emprisonnés pour complot contre la sûreté de l’État. N’hésitant pas à commenter le travail de la justice, il a affirmé : « il est temps de juger ceux qui ont comploté, et ceux qui complotent encore, dans le cadre d’un procès équitable. Les procédures ont été respectées. Cependant l’allongement des procédures a servi les intérêts des comploteurs, qui continuaient à recevoir l’argent de l’étranger à travers une association tout en étant derrière les barreaux ». 

Scandalisée par ces propos, une internaute réagit : « On prive ces gens de leur liberté au motif qu’ils comploteraient avec des entités étrangères, et même incarcérés on continue à les incriminer des mêmes faits… Pourquoi ne pas les faire exécuter Monsieur le président et vous présenter seul au prochain scrutin ? ».

Le président a abordé enfin la question de la migration irrégulière, estimant que même si les migrants sont des victimes, la Tunisie ne sera jamais un point de transit, ni une terre d’implantation : « Nous n’accepterons pas la présence de personnes hors la loi et la Tunisie ne sera pas une victime ». S’en prenant aux ONG, il poursuit : « S’agissant des organisations spécialisées dans la migration, elles n’ont rien apporté à la Tunisie à part les communiqués non innocents ».  

Comme si les délais étaient une fin en soi, le président Saïed a pour conclure rappelé que toutes les échéances électorales ont été respectées dans les délais fixés.

Seif Soudani