L’état d’urgence, objet de querelles politiciennes

 L’état d’urgence, objet de querelles politiciennes

Une tension manifeste a marqué ce Conseil de la sécurité nationale plus politique que jamais


« Ne comptez plus sur moi pour l’état d’urgence ! ». Lâchée cette semaine par le président de la République Béji Caïd Essebsi lors d’une réunion à Carthage du Conseil de sécurité nationale, la formule a marqué les esprits des Tunisiens et des observateurs de la scène politique, inquiets à juste titre de constater que la dégradation du climat politique au sommet de l’Etat menace désormais la sûreté du pays. Explications.



 


Premier fait marquant, cette réunion (vidéo ci-dessus) entamée dans une tension palpable, connait un premier hiatus lorsque, fait rarissime dans les annales du Palais, le chef du gouvernement Youssef Chahed interrompt l’allocution filmée du président Caïd Essebsi en lui faisant remarquer que s’il a dû reporter sa présence une semaine plus tôt, c’est que la présidence de la République ne l’avait informé de la tenue de la réunion que la veille de celle-ci. « Ce n’est pas la question ! », rétorque le président, dans ce qui s’apparente aujourd’hui ouvertement à une douloureuse cohabitation… Le ton est donné !


Béji Caïd Esebsi va ensuite juger « indispensable d’adopter sans plus tarder le projet de loi sur l’état d’urgence », regrettant que le processus de vote de ce projet par l’Assemblée n’a que trop tardé, après qu’il ait été soumis depuis près de 4 mois à l’ARP, fait-il remarquer, une fois adopté en conseil des ministres.  


Passée la date du 4 avril 2019, le chef du gouvernement et le président de l’ARP ne peuvent plus compter sur le président de la République au sujet de la prolongation de l’état d’urgence, « une prolongation sine die dont il s’avère qu’elle n’est pas constitutionnelle, a-t-il tenu à rappeler, tout en rejetant dorénavant la responsabilité de cette inconstitutionnalité sur l’autre tête de l’exécutif ainsi que les députés.


Le projet de loi en question ne fait cependant pas l’unanimité parmi les experts, à l’instar de la juriste Salsabil Klibi, professeure universitaire en droit constitutionnel, qui a estimé sur RTCI que ce projet de loi comporte lui-même quelques risques notables s’agissant des libertés individuelles et collectives.


 


Réaction indignée des parlementaires


Réunis hier mercredi au Bardo précisément pour poursuivre l’examen du projet de loi réglementant l’état d’urgence, les membres de la Commission parlementaire des droits, des libertés et des relations extérieures y ont consacré un débat bien plus long que prévu.


« Les propos tenus par le chef de l’Etat ne sont irresponsables ! Ils s’apparentent à une menace en direction du gouvernement et le Parlement », a averti le député d’opposition du Bloc démocrate, Ghazi Chaouachi, ajoutant que cette position « n’est pas digne d’un chef d’Etat, particulièrement face à la conjoncture que traverse le pays et en l’absence d’une loi alternative ».


« Bien que le décret n°1978-50 ne soit pas constitutionnel, le chef de la République est tenu d’assumer ses responsabilités si la situation exige l’instauration de l’état d’urgence », a rappelé Chaouachi.  


« Les Tunisiens se sont aperçus que le différend opposant le chef du gouvernement au président de la République a gagné le Conseil de sécurité nationale », ce qui pour le député constitue une faute grave.


« Le Chef de l’Etat aurait dû prendre sa décision de non-prolongation de l’état d’urgence en coordination avec l’Assemblée des représentants du peuple et le gouvernement, au lieu de la présenter de facto comme un fait accompli », a pour sa part estimé Habib Khedr, député Ennahdha, ajoutant que Caïd Essebsi doit assumer pleinement ses responsabilités et placer l’intérêt du pays au-dessus de toute autre considération ».


Depuis plusieurs mois, rien ne va plus entre le mouvement islamiste et le chef de l’Etat, d’autant que ce dernier continue de réclamer des sanctions contre la présumée organisation paramilitaire secrète relevant d’Ennahdha.  


Pour le président du bloc du Front populaire (opposition), Ahmed Seddik « le retard pris dans l’adoption dudit projet de loi était un choix délibéré du gouvernement qui cherchait à continuer l’application du décret-loi en vigueur ».


Sans cesse renouvelé en Tunisie depuis 2011 par les trois présidents successifs après la révolution, Mebazza, Marzouki et Caïd Essebsi, l’état d’urgence avait été décrété à la suite des évènements de la révolution, puis maintenu pour faire face à la menace terroriste toujours d’actualité, même si elle n’est plus aussi prégnante qu’au lendemain des attentats majeurs de 2015.


 


>> Lire aussi :  France. La résistance s'organise contre un « état d'urgence permanent »

Seif Soudani