Le « takhwin », cette arme bénaliste

 Le « takhwin », cette arme bénaliste

Mohsen Marzouk au siège de Nidaa Tounes


 


L’affaire est devenue une affaire d’Etat lundi 28 décembre. L’une des raisons pour lesquelles Mohsen Marzouk avait été excommunié de Nidaa Tounes, poussé à la démission, c’était des soupçons d’« intelligence avec une puissance étrangère », en marge d’une récente visite en cavalier seul aux Etats-Unis. Une accusation de type conspirationniste qui n’a pas été prise au sérieux, jusqu’à ce que le ministre des Affaires étrangères la reprenne à son compte.


 


L’interminable crise des clans à Nidaa Tounes a quelque chose de passablement primitif. Ainsi les sorties médiatiques se multiplient parmi les cadres du parti désireux de montrer leur loyauté au fils du président de la République, chef honorifique de Nidaa. Dernière sortie en date, celle de Saïd Aïdi ministre de la Santé lundi soir sur un plateau d’Elhiwar TV où il a affirmé que « la campagne menée contre Hafedh Caïd Essebsi est immorale ». Une déclaration en porte-à-faux du débat initial, celui de l’immoralité du leadership en lui-même népotique et éthiquement controversé de Nidaa Tounes.


 


Une cabale inquisitoire


Mais 24 heures plus tôt, c’est une déclaration de Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, dans son speech lors de la réunion du bureau exécutif Nidaa Tounes, qui a déclenché une vaste polémique. L’homme a en effet accusé Mohsen Marzouk, ancien secrétaire général du parti, d’avoir sabordé la diplomatie tunisienne, « en bloquant plusieurs accords conclus avec les Etats-Unis et l’Europe ».


« Ces accords n’ont pas été appliqués causant ainsi des problèmes à notre pays ». « Des agissements dangereux », a surenchéri Baccouche, après s’être assuré du feu vert de Béji Caïd Essebsi qui tient en substance les mêmes propos.  


De soupçons de « diplomatie parallèle » orchestrée par Mohsen Marzouk, nous passons donc clairement à une grave accusation de haute trahison. Surfant sur la vague de lynchage médiatique, Ons Hattab, l’une des égéries nationalistes du parti, est allée plus loin en se prononçant en faveur de poursuites judiciaires contre Marzouk.


Réagissant sans les nommer aux auteurs de ces attaques, l’intéressé s’est défendu sur les réseaux sociaux en dénonçant « de lâches médisants sans sens de l’honneur qui n’avancent et n’avanceront aucune preuve », promettant des représailles une fois de retour à Tunis après son actuel séjour à l’étranger où il doit subir des soins.


 


Quelles jurisprudences ?


Sous présidence Habib Bourguiba, la Haute Cour, instituée par la première Constitution tunisienne de juin 1959, en vertu de son article 68, se constitue en cas de haute trahison commise par un membre du gouvernement. « La compétence et la composition de la Haute cour ainsi que la procédure applicable devant elle sont fixées par la loi » qui prévoit plusieurs circonstances aggravantes.


Marzouk est-il sérieusement passible de poursuites au risque de devenir un prisonnier politique ? Cela est peu vraisemblable, même si le chef de l’UPR, Lotfi Mraihi, a déclaré lundi sur un plateau de Nessma TV que son parti a transmis un courrier au ministère public l’incitant à initier une enquête suite à de graves accusations formulées en l’occurrence par Taieb Baccouche, un haut représentant de l’Etat.


En 2009, alors qu’il se présentait pour un cinquième mandat de président de la République, l’ancien dictateur Ben Ali avait fait voter par l’Assemblée nationale une loi criminalisant toute « intelligence avec l’étranger », qui lui permit de poursuivre y compris les journalistes en contact avec des médias internationaux pour contourner la censure. Depuis, la culture destourienne semble ne pas s’être débarrassé de ce réflexe éradicateur dit du « takhwin », ce cousin du « takfir », permettant de taxer de « traître à la patrie » tout adversaire politique.


Imperturbable, et déjà en pré campagne électorale auprès des jeunes, Mohsen Marzouk a affirmé le 28 décembre sur sa page officielle qu’il « tiendra ses promesses » en matière d’allègement des sanctions judiciaires contre la consommation de cannabis. Ironie du sort, il avait par le passé eu recours lui-même à l’arme commode du zèle patriotard contre ses ennemis politiques.


 


Seif Soudani




 

Seif Soudani