Limogeages en série : que reste-t-il du gouvernement Chahed ?

 Limogeages en série : que reste-t-il du gouvernement Chahed ?

Youssef Chahed et Lamia Zribi


La nouvelle est tombée un dimanche soir, comme pour signifier une mesure d’urgence doublée d’embarras : le 30 avril, deux ministres du gouvernement Youssef Chahed ont été limogés, et pas des moindres. Lamia Zribi ministre des Finances et Néji Jalloul, ministre de l’Education nationale ont été remerciés sans ménagement, portant le nombre de limogeages à quatre en à peine 7 mois d’exercice du pouvoir exécutif.


C’est de facto une crise politique qui vient s’ajouter à une situation sociale tendue. La question de la légitimité du gouvernement issu du « Pacte de Carthage » se pose désormais avec insistance.


Avant ces deux portefeuilles, deux autres avaient subi le même sort : respectivement Abdejelil Ben Salem, ministre des Affaires religieuses, remercié dès novembre 2016 pour avoir eu des mots durs envers le royaume wahhabite allié du pouvoir tunisien, et Abid Briki, éphémère ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, limogé pour avoir fait part de son dépit aux médias par rapport à sa « mise au placard » fin février dernier.


Mais les deux limogeages de dimanche sont d’une envergure encore plus conséquente. Le plus incompréhensible est sans doute celui de Lamia Zribi. S’il est clair que son éviction est en rapport avec la situation de la dépréciation du dinar tunisien, reproche-t-on à la ministre d’avoir mal géré sa communication sur le sujet ?


Sa sortie incriminée n’était pas en effet une sortie médiatique consacrée au dinar tunisien. En marge d’un entretien radio, la ministre avait commenté une question d’un journaliste sans y répondre, en reconnaissant que des analystes estiment effectivement que l’euro finira par s’établir à un niveau de 3 dinars pour 1 euro. L’erreur de com’ (en l’occurrence acquiescer au lieu de s’abstenir) est-elle une faute politique justifiant l’éviction, dans la mesure où elle n’a fait qu’accélérer une inexorable dévaluation du dinar ? Car c’est bien une dévaluation, et non une dépréciation du dinar, qui a été planifiée dans une déclaration d’intention signée par son prédécesseur aux Finances, conformément aux recommandations du FMI.


Plus prévisible, le limogeage de Néji Jalloul semblait inévitable depuis au moins six mois de déboires avec les syndicats de l’enseignement public. Aux prises avec l’UGTT, l’homme a adopté une ligne de confrontation radicale, et ses scores de popularité aux sondages ne l’ont probablement pas aidé à adopter une posture plus humble. « Je suis le seul habilité à limoger un ministre », avait déjà déclaré le chef du gouvernement lors de sa dernière interview télévisée, laissant attendre que ce n’était qu’une question de timing et de formalités.


 


Déficit d’autorité


Mais pour tous ces limogeages, les enseignements sont préoccupants pour le gouvernement Chahed. L’homme conforte dans leur thèses ceux qui lui reprochent une approche démagogique du fait politique, basée exclusivement autour de la com’ : sans comprendre le fond du problème très technique de la dévaluation du dinar, le grand public a tenu Zribi pour ministre gaffeuse seule responsable de la dépréciation du dinar qui n’en est pas une. La ministre fut sacrifiée.


Or, dans un gouvernement qui se veut très orienté économie et « compétences », l’éviction brutale d’une ministre poids lourd, Zribi, et d’un ministre doté du plus grand budget après celui de la Santé, celui de l’Education, ne saurait être sans conséquences. D’autant que Chahed pousse la légèreté à ne pas remplacer les ministres « virés » : comme pour Abid Briki, le chef du gouvernement veut éviter de classer cela en remaniement ministériel, de crainte d’avoir à subir l’exercice du vote de confiance par l’Assemblée aux remplaçants éventuels.   


Pis, une polémique enfle autour de la personnalité choisie par Chahed pour assurer l’intérim : Fadhel Abdelkafi, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération Internationale, qui cumule donc désormais la Finance en plus de son ministère où son statut était déjà controversé en tant que dirigeant depuis 2005 de Tunisie Valeurs (chiffre d’affaires estimé à plus de 250 millions d’euros), entre autres entreprises de négociants en bourse. En plus du fait que son père, Ahmed Abdelkafi, siège au conseil d’administration de la BCT. Une situation qui ouvre un boulevard pour de potentiels délits d’initié.


Surtout, Youssef Chahed (41 ans), nouveau visage de la politique tunisienne, a-t-il l’envergure et la légitimité politiques pour recomposer ainsi à son gré un gouvernement et disposer de ministres à son gré, même si cela fait partie de ses prérogatives constitutionnelles ?


Un malheur n’arrivant jamais seul, une rumeur persistante, relayée notamment par une source de l’agence Anadolu, assure que le ministre de l’Intérieur Hédi Majdoub aurait présenté sa démission aujourd’hui mardi matin à Youssef Chahed, même si cela a été démenti dans la journée par le porte-parole du ministère. Publié samedi, un communiqué de représentants syndicaux de la Garde nationale avait fait part du « refus de la solution sécuritaire à Tataouine en guise de réponse à la contestation sociale » a visiblement été perçu comme un acte de quasi rébellion.


En fin de semaine également, le secrétaire d’Etat aux Domaines fonciers Mabrouk Kourchid a limogé le chargé du contentieux de l’Etat, accusé de désobéissance, ayant rechigné à délocaliser les locaux et le personnel de son institution vers l’ancien siège rénové du RCD.  


En matière de gouvernance, Jacques Chirac avait coutume de dire, dans un langage fleuri : « les merdes (sic), ça vole toujours en escadrille ».


 


Seif Soudani

Seif Soudani