Tunisie. Migration : Carthage prisonnier de son logiciel complotiste

 Tunisie. Migration : Carthage prisonnier de son logiciel complotiste

En quelques semaines, le président de la République, Kais Saïed, a multiplié les convocations du Conseil de la sûreté nationale, un mécanisme en présence des généraux de l’armée, censé être réservé aux périls les plus sérieux. Lundi soir, il s’est servi de ce cadre comme tribune purement oratoire pour s’interroger sur l’explication de la persistance des vagues de migrants subsahariens sur le sol tunisien.

 

Kais Saïed détient-il le pouvoir en Tunisie ? Qui donc gouverne le pays ? Tout réduire à un vaste complot n’est-il pas le propre d’une mauvaise gouvernance qui, n’étant pas en mesure de diagnostiquer le problème, ne peut que verser dans le dédouanement de soi et les solutions erronées ?

Ce sont là les questions légitimes qu’un certain nombre d’analystes politiques se sont posées en réponse aux interrogations du chef de l’Etat qui prenait une fois de plus à témoin les Tunisiens comme le ferait « un simple client du café du commerce », commente aujourd’hui l’éditorialiste Mohamed Salah Labidi.

 

La rengaine conspirationniste

En guise d’authentique biais de confirmation, le président Saïed a de nouveau invoqué les mandats postaux et virement financiers internationaux reçus par lesdits migrants via diverses agences : « cette situation ne peut plus durer, surtout que d’énormes sommes d’argent sont transférées de l’étranger à ces migrants subsahariens […]. J’ai moi-même pris connaissance d’un montant global distribué par une seule de ces agences à Sfax s’élevant à 20 millions de dinars », argumente-t-il.

Or, pour qui connaît ce dossier, il s’agit là de montants annuels correspondant généralement aux transferts de sommes individuelles dérisoires, effectués par les familles de ces migrants, arrivées avant eux en Europe, ou encore via des organismes humanitaires.

Dans cette longue allocution, Kais Saïed s’en prend ensuite précisément aux ONG et associations de défense des migrants, les qualifiant de « réseaux » et de « collabos » opérant en Tunisie qui « prétendent à tort se porter fervents défenseurs de ces migrants ». A cet égard, le président de la République s’est indigné de « la publication il y a quelques jours sur les colonnes d’un journal d’un appel d’offres, par une association (sans la citer), en vue d’héberger et accueillir des migrants ».

L’ONG en question est le Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), qui consacrait en l’occurrence en toute transparence une partie de son budget à l’hébergement des migrants dans des conditions plus dignes que les camps, en attendant leur transfert. « N’est-ce pas indécent de la part du plus haut dignitaire de l’Etat de placarder ainsi le travail anecdotique d’une petite association et de nous donner en pâture à l’opinion en nous présentant comme des traîtres ? », déplore aujourd’hui un militant du CTR.

« Il n’est pas question que les associations se substituent à l’État » a en effet martelé Saïed qualifiant les responsables des associations qui reçoivent des financements étrangers de « traîtres aux consciences vendues ». La Tunisie ne sera plus « une terre d’accueil » pour ces migrants, « tout comme elle œuvre à ne plus servir d’un pays de transit pour eux », a-t-il conclu.

 

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Seif Soudani