Tunisie : Ni maréchal Haftar ni gouvernement Al-Sarraj

 Tunisie : Ni maréchal Haftar ni gouvernement Al-Sarraj

Maréchal Haftar – Al-Sarraj (G).

La diplomatie tunisienne ne devrait soutenir ni le maréchal Haftar ni le gouvernement Al-Sarraj. Eviter de s’embarquer dans l’aventurisme des Frères musulmans, de bénir prématurément les rapports de force, tout en se méfiant de la légalité internationale, est un exercice difficile, mais nécessaire.

 

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La diplomatie tunisienne devrait rester égale à elle-même, c’est-à-dire conforme à ses moyens, ses ressources, ses constantes. Une diplomatie qui soit capable de faire des adaptations circonstancielles, sans jamais changer le fond de sa vision, déterminé par sa position géopolitique.

Entre les forces de plus en plus envahissantes du maréchal Haftar, en dépit de ses revers, et le gouvernement de moins en moins légitime, de plus en plus affaibli internationalement d’Al-Sarraj, abandonné par presque tous, la Tunisie devrait rester à égale distance de tous les protagonistes, tant que le terrain ou les accords entre les parties n’ont pu faire émerger un vainqueur, ou du moins une solution acceptable par tous.

« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens »

La Tunisie devrait, si elle voudrait préserver son avenir diplomatique, faire sienne la position de Napoléon III durant le IIe Empire, lorsqu’il disait à propos de la guerre civile américaine : « Si les Nordistes gagnaient, je serais heureux ; si les Sudistes gagnaient, je serais enchanté ». Voilà une bonne diplomatie, l’art de préserver l’avenir, la paix et la coopération, en laissant les portes ouvertes aux relations politiques, en dépit de ses propres préférences.

La Tunisie ne devrait suivre ni les grandes puissances qui ont les moyens de leur diplomatie, ni les moyennes puissances qui tergiversent selon le moment et l’ordre du jour. Neutre, cela veut dire neutre, sans louvoiements, en adoptant une attitude claire, même discrète. Facile à dire, difficile à faire quand les événements se bousculent.

Mais, la légalité internationale elle-même est un principe fuyant, souvent malléable, dissimulant des visées politiques et stratégiques peu catholiques. Elle n’a, au surplus, jamais empêché les accords secrets et la raison d’Etat. En l’espèce, alliances des grandes puissances, alliances des moyennes puissances et alliances régionales s’interpénètrent, se contrarient et évoluent au gré des circonstances. D’ailleurs, sur la Libye, Trump, Poutine et Macron affichent une hésitation prudente.

Contre-diplomatie maghrébine

Le président Essebsi, pourtant ancien diplomate chevronné, est allé un peu vite en besogne en soutenant le gouvernement Al-Sarraj, béni à ce moment-là par l’ONU et la communauté internationale. Quoiqu’à l’époque, le maréchal Haftar ne maîtrisait pas autant de terrain qu’aujourd’hui sur le plan militaire. Ni la haine de la Turquie et des islamistes, ni l’attachement naïf à la légalité internationale ne sont en mesure à eux seuls de sauver la position de la Tunisie, qui, en l’espèce, a intérêt à encourager une contre-diplomatie maghrébine clairvoyante et résolue avec le Maroc et l’Algérie.

On le voit de plus en plus aujourd’hui en raison de l’instabilité régionale et les visées interventionnistes : la nécessité du Maghreb est désormais militaire et stratégique et pas seulement politique, économique ou culturelle. D’ailleurs, il n’est pas exclu que les agitations dans le Sud tunisien soient liées à l’interventionnisme turc par Ennahdha interposée, exploitant la misère et le désespoir des populations. Des tensions et des agitations supposées favoriser la pénétration turque, risquent d’impliquer de proche en proche les pays du Maghreb par le fait accompli.

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La Tunisie acculée à prendre position

Depuis l’époque de Kadhafi, la Libye a toujours été un voisin instable, versatile, difficile à gérer pour la diplomatie tunisienne, et aussi algérienne et marocaine. Aujourd’hui, l’interventionnisme des puissances étrangères dans la question libyenne fait ressortir les contradictions de la neutralité tunisienne, sa diplomatie de base. Il pousse la diplomatie tunisienne à prendre position, parce que non seulement les parties belligérantes divisent les partis tunisiens, laïcs et islamistes du fait de leurs doctrines et positions politiques, poussent le président de la République à prendre une position anti-Ennahdha, mais aussi parce qu’elles ont des appuis dans différents partis tunisiens.

Alliances régionales

La Tunisie n’a pu aussi défendre sa neutralité parce qu’elle soutient, comme toujours, la légalité internationale, conséquence de sa politique de neutralité. Elle s’abrite derrière la neutralité du droit international. Or, dès l’époque du Président Essebsi, lorsque la Tunisie prenait position en faveur de la légalité internationale, la position de l’ONU, cette position était paradoxalement favorable à l’une des parties en conflit : le gouvernement Fayez al-Sarraj, proche des islamistes, de la Turquie et de Qatar.

Elle a alors perdu, malgré elle, la confiance du maréchal Haftar et de son armée nationale libyenne (ANL), qui n’a jamais voulu visiter la Tunisie pour négocier avec ses dirigeants, malgré les sollicitations des autorités. Il maîtrise pourtant de fait aujourd’hui une grande partie du territoire, et est soutenu par l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, les Américains, les Russes et les Français (de fait).

Il faut le savoir : le jour où Haftar sortira militairement et politiquement vainqueur de ce conflit, il faudrait apprendre à vivre et à coexister avec lui, sans renier ses alliés traditionnels, aussi « amis » de la Tunisie sur le plan diplomatique. Autrement, Haftar ne manquera pas de garder rancune à la petite Tunisie, à supposer que ce n’est pas déjà le cas.

Partis tunisiens : qui soutient qui

La guerre en Libye a eu certainement un impact sur les équilibres politiques du pouvoir en Tunisie. Les partis tunisiens sont dans l’indétermination sur ce sujet. D’un côté, le parti-pris anti-islamiste, anti-interventionnisme turc, conduit certains partis, de droite ou de gauche, modernistes, ou de l’ancien régime, à soutenir de manière voilée le Maréchal Haftar, un homme déterminé à chasser les islamistes du pouvoir. Comme ils ont soutenu hier Al-Sissi contre le président Morsi en Egypte par réflexe anti-islamiste.

D’un autre côté, le respect mal interprété de la tradition diplomatique tunisienne conduit certains partis à se positionner en faveur du gouvernement Al-Sarraj, un gouvernement mythiquement « légitime » qui n’a d’emprise sur rien.

Enfin Ennahdha et les salafistes soutiennent de pied ferme le camp erdoganien d’Al-Sarraj, de crainte de perdre une position islamiste stratégique dans la région. Erdogan lui, s’intéresse à la Libye, moins pour la chariâ que pour les hydrocarbures et son écoulement en méditerranée orientale et pour un éventuel marchandage avec la Russie sur la Syrie. Donc, il y a des croisements et des recoupements dans les positions des uns et des autres, mêlant alliés internationaux et positions politiques et idéologiques des partis. Ce qui n’est pas sans confusions.

Prudence exigée

Ni l’anti-islamisme ni le légalisme peu diplomatique ne peuvent en tout cas, à eux seuls, être pris pour une arme diplomatique. Si Haftar l’emporte sur le terrain, aucun pays ne pourra refuser de le reconnaître, y compris la Tunisie démocratique et anti-militariste ; si la gourmande Turquie se glisse habilement en Libye, la Tunisie ne pourra plus dormir sur ses deux oreilles. Le dilemme libyen est certainement tragique. Raison de plus pour garder ses distances et limiter ses effets nocifs.

A égale distance vis-à-vis de tous, tant que le conflit n’est pas bouclé, en poursuivant une politique de la porte ouverte avec des propositions constructives pour les deux protagonistes. C’est ce qui serait utile à la diplomatie tunisienne, loin des slogans creux, abstraits et immatures des autorités. A supposer même que la Tunisie ait des préférences, il lui est toujours loisible de ne pas le manifester ou de ne pas donner des indices dans ce sens.

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Hatem M'rad