Viol : L’exception qui doit changer la règle

 Viol : L’exception qui doit changer la règle

crédit photo : Baptiste Mas

Pendant presque un an, Khadija subit les violences et viols de son conjoint agresseur. Après avoir échappé de peu à la mort, elle décide de porter plainte en 2017. Elle accepte de participer activement à l’enquête mais le parquet de Limoges « oublie » de la convoquer pour son propre procès de viol en 2020 ! Cette aberration judiciaire met en lumière la faille de la représentation de la victime dans la justice française.

Khadija a dû faire preuve d’un courage hors du commun. Dans le bureau de son avocate, on l’écoute, contrairement à la justice qui ne l’a pas fait et elle en a gros sur le cœur, elle qui est une double victime ! Sur son union, la franco-marocaine esquisse une relation destructrice. « Je n’ai pas eu la notion du temps avec lui. Dés notre installation, les violences (coups de poing, de genoux, claques) ont commencé. J’en suis arrivé à manger à la paille tellement je souffrais. J’étais marqué recto/verso. J’ai eu des côtes fêlées. Ce boucher de profession a coupé un morceau de serviette et m’a étranglé avec, comme si j’étais un mouton. Il jouissait de ma souffrance. Plus il y avait de sang, plus ses yeux s’écarquillaient ! »

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viol : l'exception qui doit changer la règle
crédit photo : Baptiste Mas

Un rituel de violences et de viols

Des violences aux viols répétés, Khadija parle de rituel imposé par son mari dans leur maison isolée près de Limoges. « J’étais séquestrée. Il me maniait par son emprise psychologique. Il me frappait jusqu’à ce que je saigne. Ensuite, il me douchait alors que je voyais mon propre sang couler dans l’eau avant de me violer. Il me fermait la bouche. Je lui disais non. Il me répondait « je m’en fous ! » et faisait ses affaires. Une fois, après m’avoir frappé, il m’a fait sortir en slip et en soutien gorge sous la pluie pendant qu’il regardait un match de foot ! »

Khadija a traversé cette période de traitements inadmissibles, en étant incapable de réagir. « Il me culpabilisait. Il a réussi à m’isoler de ma famille, de mes amis. Je me disais peut-être que je l’ai cherché. On se dit qu’on n’a pas fait assez pour l’aider et que ça va aller mieux. Je n’étais pas le problème. C’était lui. Rien ne justifiait qu’il me pète une dent ou qu’il me viole.»

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« Témoigner à mon procès était viscéral »

Son « salut » viendra quand son conjoint la suspend sur un pont de la ville de province. La police accueille son dépôt de plainte pour « acte de tortures, barbarie et viol ». Pendant deux ans, elle accepte tout pour que son agresseur soit condamné : se faire examiner par un médecin légiste, redire les faits maintes fois, ramener à ses frais les effets personnels de son conjoint au commissariat, la confrontation, la reconstitution. Une période particulièrement traumatisante pour Khadija. « J’ai du quitter la ville. C’était un combat. Le peu de sous que je gagnais me servait à aller voir des psys. Je n’ai jamais écrit ou sous-entendu que j’avais peur de lui à mon procès. Témoigner à mon procès était viscéral. Quand j’ai porté plainte, je voulais entendre le mot condamné au tribunal.»

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crédit photo : Baptiste Mas

Un procès de viol sans l’unique témoin et victime

Mais c’est une toute autre issue qui attend Khadija. Son procès aux assisses, elle l’apprend par la presse. « Je n’ai pas reçu de convocation par huissier à mon propre procès. Je me suis manifesté auprès du parquet. Une des greffes m’a signifié : « ce n’est pas vos larmes qui vont m’atteindre ». Ca m’a donné plus de force. J’étais marqué de partout. Les vidéos montrent tout : les coups, les cheveux tirés, les coups de pied. Je ne dis que la vérité. J’avais un dossier en béton.»

Un cas unique que découvre sa nouvelle avocate, Maître Pauline Rongier. Elle ne comprend pas ce qu’elle qualifie d’aberration judiciaire. « C’est un enchainement de défaillances. Le parquet a convoqué Khadija à une mauvaise adresse. Quand l’huissier fait retour au parquet, ceux-ci ne vérifient pas qu’ils n’ont pas donné la bonne adresse. Pourtant, dans le procès verbal de plainte, elle indique qu’elle a quitté l’adresse d’envoi. D’ailleurs, les enquêteurs la convoquent durant toute l’instruction à sa nouvelle adresse. De son côté, la présidente de cour d’assises n’a pas réagi quand elle a vu qu’il manquait la partie civile et unique témoin pour les viols. Enfin, il n’y a eu aucune réaction du parquet après son appel téléphonique.»

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Bataille juridique pour les victimes

Son agresseur a été condamné à 8 ans pour les autres accusations mais relaxé pour le viol. En droit pénal, la victime ne peut faire appel d’une condamnation, contrairement au parquet ou à l’accusé. Elle peut faire opposition à son procès mais cela concerne les affaires en matière correctionnelle et non en matière criminelle. Un vide juridique que n’a pas prévu la loi. « N’étant pas convoquée, cette situation prive ma cliente de tout l’arsenal de la procédure pénale : le droit d’être présente, d’être entendue, d’avoir un avocat, de poser des questions, de remettre des pièces, le huis clos. On remue ciel et terre par du juridique.»

Une première décision de la Cour de Cassation rejette la demande de l’avocate pour la victime de faire appel mais, première victoire, reconnaît tout de même que Khadija n’a pas été convoqué. Une autre est en cours pour l’opposition. « La justice ne renvoie Khadija qu’à demander des dommages et intérêts. Ce n’est pas ce qu’on souhaite. Avec une décision courageuse de la Cour de Cassation, on peut changer notre perception de la victime. Il nous faut un recours pour que cela ne se reproduise jamais.»

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« De mon vivant, je ne lâcherais pas »

En plus du viol, Khadija vit avec un traumatisme supplémentaire, difficile à percevoir. « Il y a ce que j’ai vécu avec mon ex mais j’ai l’impression que l’Etat me punit d’avoir dénoncé un viol. Je suis toujours en danger et oppressée. Je ne suis pas heureuse et vis un stress post-traumatique. Ca ne sera jamais comme avant. L’Etat me doit un procès. De mon vivant, je ne lâcherai pas. »

Le caractère incroyable de l’affaire mérite que l’on ouvre la discussion sur notre manière de traiter les victimes de viols et de violences conjugales. Maître Rongier en est persuadée : « C’est un message terrible que l’on enverrait aux victimes si on ne fait rien. Je veux que ce soit une exception qui fasse changer la règle. Je ne veux pas que cette exception la devienne ! »

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.